mardi 17 juillet 2012

13 - Marianne "La Rouge"

[Note de l'auteur : Bonjour à tous ! pour ce chapitre, il y a une petite surprise ! un dessin fait par une personne rencontré sur un forum d'art. Bonne lecture, et n'hésitez pas à commenter, que ce soit l'histoire ou le dessin !]

Dessin de Nokomo Chéongre


         L'impression que me laissa Marianne à notre première rencontre fut assez mauvaise. Si j'avais su les raisons qui l'avaient mise dans cet état d'esprit, peut-être que cela m'aurait rendue plus tolérante. Alors que nous montions les escaliers en bois qui grinçaient sous nos pas, derrière la porte, je remarquais qu'à aucun moment Jocelin ou Marianne n'avaient été appelés par leurs noms. Ils y avaient fait références en parlant de ''L'argenté'' pour Jocelin et de ''La Rouge'' pour Marianne. Je n'eus pas le temps de le questionner sur le sujet : il avait déjà frappé à la porte qui se trouvait en haut des escaliers. Comme les murs qui nous entouraient, la porte avait vieilli. La peinture verte s'était écaillé et laissait des parties du bois apparentes.
         « - Entrez. » Fit une voix féminine sur un ton neutre.
         Nous pénétrâmes alors dans une immense bibliothèque. Les livres qui y étaient rangés étaient très vieux... je vis même des rouleaux de papyrus et des parchemins. Malgré l’âge, tout était  rangé et propre. Au fond, dans une véranda, à la lumière d'une lampe électrique, une femme lisait un livre. La véranda était remplie de mobilier en osier. Deux chaises et une petite table, Sur des supports forgés, des plantes tropicales et pleines de vie trônaient. Au sol, les carreaux de carrelage blancs et noirs, usés, détaillaient avec force la quantité de passage que cette pièce avait pu avoir. Marianne était là, assise sur l’une des chaises en osier, un livre ouvert posé devant elle. Elle avait été contemporaine des croisades, et je m'étais attendue une vieille femme acariâtre, suffisamment puissante pour terrifier toutes les personnes dans le bar en bas. Mais la femme que j'avais sous les yeux devait avoir le même âge que moi, peut-être un peu plus âgée. Elle était blanche de peau, et ses longs cheveux blonds aussi dorés que les blés glissaient dans son dos comme une cascade. Cette beauté et cette santé contrastait énormément avec ses yeux marrons, vides de toute joie de vivre, qui regardaient au travers de lunettes carrées avec une monture discrète. Elle portait une robe d'été, blanche et légère, et des souliers blancs eux aussi, telle une mariée oubliée dans un jardin intérieur.
         « - Tiens ?! Jocelin.... Cela fait un moment que je ne t'ai pas vu.
            - Bonsoir Marianne.
            - Tu viens pour moi ? C'est une charmante attention.
            - Je viens juste chercher des réponses.
            - Dommage... »
         Une petite trace de déception passa sur son visage, vite remplacé par un intérêt pour moi. A peine ses yeux croisèrent les miens que je ressentis une puissance énorme. Comme si j'avais été à côté d'une arme atomique prête à exploser. Des flammes, du souffre, et du sang, c'était les impressions telles qu'elle me les laissait.
         « - Qui est-ce ? Demanda-t-elle froidement.
            - Une amie qui m'accompagne. Nous avons tous les deux besoins de réponses sur son état.
            - Pour ton amie donc ? Qu'est-ce qui te dis que je vais accepter de t'aider ?
            - Je suis prêt à payer.
            - Payer pour elle ? Sérieusement ? Bravo, tu viens de me convaincre de vous mettre dehors...
            - J'ai mes raisons, mais pas celles que tu imagines.
            - Et tu serais prêt à payer pour cela ?
            - Oui. »
         Elle me regardait désormais, comme on observe un morceau de viande froide alors que l’on vient de manger. L'énergie que je ressentais, avec son attitude glacée me tétanisait. Je n'arrivais pas à ôter ces images de feu et de sang de mon esprit. Je fus alors persuadée que ce n'étais pas une simple médium. Si elle n'avait pas trouvé un intérêt à ce que j’avais dit, j'aurais probablement été tuée.
         « - Et comment vous appelez-vous jeune fille ? Commença-t-elle.
            - Lena, répondis-je.
            - Alors, quel est votre problème ?
            - Je suis poursuivie par des démons. Répondis-je en imaginant être face à une psychiatre.
            - Ça, je ne peux rien y faire. C'est la conséquence de la rupture de votre âme.
            - Comment est-ce que...
            - Je le sais ? Finit-elle ma phrase. Pour commencer, je connais Jocelin depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'il n’amènerait personne d'autre ici. Ensuite, je vous sens... »
         Un démon, j'avais en face de moi un démon, je fus terrifiée à cette pensée. Je ne savais vraiment pas ce dans quoi Jocelin m'avait emmenée, mais j'étais vraiment inquiète sur la finalité de cette entrevue.
         « - Ce n'est pas le problème... coupa Jocelin. Le problème c'est qu'elle en a des puissants à ses trousses, et ils ont essayé de s'en débarrasser avant que son âme ne se soit reconstruite. »
         A ces paroles, la femme leva un sourcil. Elle s'installa un peu mieux dans son siège avant de sortir un paquet de cigarettes. Elle en prit une, et, après avoir claqué des doigts, une flamme apparue au bout du pouce de son poing serré. La cigarette allumée, elle fit disparaître la flamme en secouant sa main.
         « - En effet, c'est étrange... Est-ce que tu as des noms ?
            - Alibaras et Azraël.
            - Oulla.... Alibaras est dangereux. Mais Azraël, un prince démon, c'est du lourd. Il se déplace rarement hors des royaumes, s'il bouge, il y a de quoi s'inquiéter, même pour nous. Je comprends mieux maintenant pourquoi les démons du coin s'agitent. Il se passe quelque chose, et je ne suis pas sure d'aimer cela...Et il ne sert à rien de vous demander : vous ne savez probablement rien non plus… Ma chère, votre salut ne passera que par la compréhension rapide de ce qu’Azraël veut. Et, dans tous les cas, ne le lui donnez jamais !
            - N'est-ce pas mon âme ? Demandais-je.
            - Non, il est trop complexe pour cela. Alibaras passe encore, il peut en vouloir à votre âme. Mais Azraël,... c'est le démon de la mort et du destin. Manipulateur et machiavélique, faites extrêmement attention avec ses marchés et ses pactes : ce qu'il veut n'est jamais explicite. Je vous conseillerais de ne jamais en passer.
            - Trop tard. Commenta Jocelin.
            - Elle fait ce qu'elle veut, ce n'est qu'un conseil, reprit froidement Marianne. A ce jour, personne ne lui a jamais échappé. Quel est votre pouvoir ?
            - Euh... Je ne sais pas. Dis-je.
            - Il n'est pas encore apparu, mais il peut déjà être altéré. Continua Jocelin.
            - Pardon ? Un pouvoir ne peut-être altéré que s'il est déjà existant. Il a certainement déjà été utilisé, plus d'une fois même, mais personne n'a dû y faire attention.
            - Tu le penses ?
            - Non, j'en suis certaine. Faites plus attention, il est possible que cela ait un lien avec les desseins d'Azraël.
            - Et Alibaras ? Demandais-je.
            - Alibaras n’est qu’un écervelé violent. Seul, il est à peine dangereux, une bonne claque et c'est réglé. Ce qui pourrait m'inquiéter plus, ce serait qu’il se soit allié à Azraël. Cela risquerait de dégénérer rapidement, et de vraiment mal finir... Pour tout le monde. »
         Cette dernière phrase me confortait dans mon sentiment que quelque chose de terrible se tramait. Après un soupir où une épaisse fumée sorti de ses narines, Marianne se leva et se dirigea vers moi.
         « - Bon, commencez par me montrer où l’autre naze vous a frappé. »
         Inquiète, je demandais du regard son avis à Jocelin. D’une manière imperceptible, il hocha la tête.
         « - Ecoutez, je n’ai pas toute ma journée, vous voulez des réponses, laissez-moi faire. Dans le cas contraire allez-vous-en. »
         Je relevais mon chemisier après avoir ouvert mon tailleur. Elle toucha ma peau, au niveau du plexus. Et elle eut un léger recul et une expression de surprise sur le visage.
         « - Oh non… murmura-t-elle. Dites-moi que ce n’est pas vrai… Faites voir vos mains. »
         Sans que je ne les lui donne, elle prit une de mes mains et la regarda, des deux côtés, ne croyant pas vraiment ce qu’elle voyait.
         « - Ha ! Mais quel con ! Pesta-t-elle visiblement à l’encontre d’Alibaras. Vos pieds ! »
         Sans ménagement, et avec une force que je ne lui aurais pas crue, elle me jeta sur la chaise en osier libre et attrapa une de mes jambes. Elle jeta la chaussure pour regarder mon pied nu, comme elle l’avait fait avec mes mains. Je jetais un regard implorant à Jocelin, lui demandant un peu d’aide. Mais ce dernier semblait inquiet en regardant Marianne me triturer le pied dans tous les sens.
         Soudain, elle lâcha mon pied, et se releva lentement. Pendant tout ce temps, elle avait gardé sa cigarette à la main. Son regard envers moi avait changé : désormais, au lieu d’être observée avec froideur, je sentais que j’étais quelque chose d’insolite. Un peu comme une cafetière expresso en orbite autour de la terre : L’objet est connu, mais il n’est pas au bon endroit. Retourna s’asseoir dans son fauteuil en osier, et, le regard vide elle se mit à regarder dehors.
         « - Marianne, est-ce que… commença Jocelin.
            - Tirez-vous. J’ai besoin de réfléchir. Nous verrons le paiement plus tard.
            - Lena, viens. Me murmura-t-il doucement. Il faut partir, et vite.
            - Mais… commençais-je.
            - Pas de mais ! On se casse ! Vite ! »
         Je vis l’urgence dans ses yeux. Pourtant, rien n’indiquait que nous étions en danger. Il se dirigea vers la porte, et je le suivi après avoir récupéré mon soulier. Avant de sortir, je jetais un dernier regard à cette étrange femme en passant devant le jeune homme qui retenait la porte. Elle n’avait pas bougé, et, durant un court instant, je crus qu’elle pleurait. Mais la porte se referma sur nous avant que je ne puisse m’en être assurée. Jocelin me poussait légèrement pour descendre les escaliers. Nous entrâmes de nouveau dans le bar, et, là encore tous les regards se dirigèrent vers nous.
         Avec un simple « Bonsoir à tous », Jocelin se dirigea vers la sortie. J’étais sur ses talons, ignorant superbement les regards inquisiteurs à mon égard. Une fois dehors, le jeune homme s’arrêtât au milieu de la cour, et prit une énorme inspiration avant de s’allumer une cigarette. De nouveau, il m’en proposa une, que je refusais encore une fois.
         Il haussa les épaules avant de remettre le paquet dans sa poche.
         « - Qu’a-t-elle vu ? Et cette femme est un démon ?
            - Non, elle n’a rien de démoniaque si ce n’est son caractère. Quand à ce qu’elle a vu… J’en sais rien. Mais ça devenait mauvais pour nous. Je la connais depuis suffisamment longtemps pour savoir quand me tirer.
            - Mais on est venu chercher des réponses ! Et tu ne réponds pas à mes questions, qu’est-elle ? Commençais-je à m’énerver.
            - Très curieuse ta copine dis-donc…
            - Lâche-nous Brinker. »
         Le gros rat était de nouveau sorti du café. Il alluma son calumet calmement à l’aide d’une allumette. Il tournait autour de nous à une distance respectable.
         « - Bon, l’Argenté, parlons sérieusement maintenant, Qu’est-ce qui ce qui se passe ?
            - A quel sujet ?
            - La Rouge ne t’en a pas parlé ? Les démons sont nerveux…
            - Si, mais elle n’est pas allée plus loin dans les explications. » Dis-je.
         Le rat commença à faire des ronds de fumée dans la nuit. Puis, il regarda le ciel. Qu’y cherchait-il, je n’aurais vraiment su le dire.
         « - Ils sont nerveux, ils cherchent quelqu’un, nous supposons qu’il s’agit d’une âme brisée. Tu connais pourtant notre situation l’Argenté… non ? Nous ne pouvons pas vivre parmi les Hommes. Et quand les démons sont nerveux, vu qu’ils ne peuvent pas se défouler sur les Hommes au risque de créer une âme brisée, c’est vers nous qu’ils se tournent. On prend cher en ce moment. Ils ont même défoncé la porte de ma maison.
            - Tes femmes ? Tes gosses ? Demanda Jocelin qui levait lui aussi les yeux vers le ciel.
            - En dehors de l’ainée, qui a refusée de partir se mettre à l’abri à la campagne, tout le monde est sauf.
            - Est-ce qu’elle…
            - Oui. Ils se sont vraiment acharnés sur elle.
            - Est-ce que tu sais qui a fait cela ?
            - Je m’en suis occupé si c’est ce que tu veux savoir. Mais bon, les renvoyer là-bas… est-ce vraiment une vengeance ? Je ne crois pas… ça ne change rien, j’ai toujours autant la haine envers eux.
            - Attendez, que voulez-vous dire par ‘’Renvoyé là-bas’’ ? » Coupais-je.
         Le rat me regarda avec un air surpris puis amusé. Jocelin ne dit rien, mais dans ses yeux, je compris qu’il avait oublié de me parler de quelque chose.
         « - Vous deviez être blonde vous… la couleur est plutôt réussie. On ne voit quasiment pas la différence. Enfin bref, l’Argenté : pas mal de monde va faire la chasse à l’âme brisée, jusqu’à ce que celle qu’ils cherchent soit éliminé. Essayez d’être prudent, toi et tes copains.
            - Qu’est-ce que cette information va me couter ?
            - Protège ta blonde. Il y a fort à parier que c’est elle qu’ils recherchent. Moi, tant qu’elle est en vie, je sais que ça les emmerde et ça me convient.
            - Oh ! Vous allez arrêter de vous foutre de ma gueule. Je commence à en avoir marre de tous ces secrets et de tout ce bazar ! C’est gonflant à force ! Répondez correctement à mes questions pour une fois ! J’en ai marre, y’a un démon charmeur et puceau qui me veut je ne sais quoi, un rat nymphomane et alcoolique qui veut me sauter, et une espèce de dragon qui est à la limite de me bouffer après m’avoir auscultée ! Et je ne parle pas de l’autre malade responsable de tout ce bordel ! J’en ai ras le cul ! »
         Je saturais complètement, j’avais l’impression d’être dans un de ces épisodes d’X-files où Scully et Mulder posent des questions, mais leurs interlocuteurs ne répondent jamais. Ils éludent toujours le sujet, continuant la conversation comme s’ils n’avaient rien entendu. Pourtant, ma colère se dissipa en voyant les regards surpris de mes deux interlocuteurs. Tous les deux s’étaient figés dans leurs positions respectives. Brinker avait la bouche ouverte, et Jocelin me regardait étrangement.
         « - Dommage, trop clairvoyante à mon goût…
            - Lena, dit simplement Jocelin face à mon visage rouge de colère, tu ne peux pas tuer un démon. Tu peux le rendre inoffensif, le capturer, ou le renvoyer en Enfer, mais tu ne peux pas le tuer. Si tu avais attendu que l’on soit à la maison, je te l’aurais expliqué là-bas… On s’est fait remarquer, allons-nous en. »
         En effet, deux ou trois créatures sortirent du café pour voir ce qui se passait dehors. Un gros tas poils informe, le barman, et un énorme lézard aux couleurs vert bouteille. Ils n’avaient pas l’air amicaux. Et, en s’approchant de nous, ils se séparèrent. Le serveur au milieu, le lézard à notre gauche et la boule de poil à droite. Jocelin attrapa mon poignet et me tira vers la sortie. A notre approche de la porte donnant sur la rue, les trois monstres se stoppèrent, et ils nous observèrent sortir dans la rue. Brinker, le rat, nous regardaient alternativement, comme un spectateur dans une pièce de théâtre.
         Une fois de l’autre côté, dans la rue je me figeais avant de demander à Jocelin :
         « - Euh… ce n’est pas par là que nous sommes entrés dans la cour du café : je reconnais le quartier… nous sommes à Montmartre, près du Sacré-Cœur. » Dis-je, peu rassurée dans la rue déserte et mal éclairée.
            - Tout juste. Me dit-il avec un sourire. Le Café des Illusions est lié à beaucoup de portes dans Paris. Si une créature fantastique ouvre une porte en voulant rejoindre le café, il se retrouve dans la cour. Ça marche aussi pour les âmes brisées. Et cela fonctionne aussi dans le sens inverse.
            - Mais, alors, la police…
            - Ne trouveras jamais le café. Finit-il ma phrase. S’ils entrent derrière nous alors que la porte s’est refermée, ce sera le lieu réel, pas le café. Et vu qu’on réapparaît à Montmartre… ils ne vont rien y comprendre. C’est aussi une mesure de protection pour les créatures fantastiques qui étaient dans le bar.
            - N’y-a-t-il pas un risque que les démons y fassent une descente ? Ton ami Brinker avait l’air d’en parler comme de la Gestapo.
            - Primo, ce n’est pas mon ami. Secundo, tant que Marianne sera là, les démons ne se risqueront pas à prendre le café d’assaut. Merde… On avait besoin de ça… »
         Le gothique regardait par-dessus mon épaule. Et semblait véritablement ennuyé. De manière instinctive, je me retournais, cinq silhouettes venaient du boulevard en bas. Ces cinq ombres parlaient haut et fort, en se dirigeant vers nous, ils chahutaient violement, vociféraient et plaisantaient de manière grasse dans la rue déserte et mal éclairée. L’un deux nous apostropha.
         « - Re-merde, dans la ruelle ! Vite ! » me murmura Jocelin en m’y trainant.

dimanche 8 juillet 2012

12 - Le Café des Illusions

     Je pourrais ici raconter en détail ce qui se passa les jours qui suivirent cet entretien. Mais cela ne servirait à rien car, en dehors d’être suivie un peu partout par des policiers en civil, il ne se passa rien.
Enfin si, un matin un peu plus froid que les autres, Paul alla chercher les deux agents dans leur véhicule pour leur proposer un café. Gentiment refusé, mais ils comprirent que l’on savait où ils étaient, et ce qu’ils faisaient.
     De mon côté, je m’entraînais au fouet chaque soir. Au bout de deux semaines, j’avais compris le ‘’truc’’ pour conserver le mouvement sur la lanière de cuir et frapper avec une certaine précision. Je pouvais désormais toucher une feuille de papier A4 avec précision sans ralentir mon mouvement. Je savais faire claquer le fouet comme Indiana Jones et, Vanessa me le confirma, c’était plutôt impressionnant. D’après elle, ça l’était encore plus avec le fouet de foudre que produisait le taser. La couleur bleue lumineuse, ajoutée aux mouvements rapides du fouet créaient une persistance rétinienne sur quiconque me regardait le manipuler. A en croire Alphonse, j’étais entourée de lumière. Grâce à cela, je pouvais cacher mes mouvements sous la trainée lumineuse.
     Les journaux relatèrent la disparition d’une autre jeune fille. Elle était aussi jeune que la première, mais celle-ci était d’origine africaine. La communauté musulmane s’était indignée d’une telle disparition, supposant un crime raciste. Mais, je me doutais qu’il était tout autre : elle avait disparue dans sa maison familiale, alors que celle-ci avait été fermée à clef. Ceux qui avaient donné l’alerte, furent les voisins qui entendirent hurler. Mais à l’arrivée des secours, elle avait disparue, ne laissant qu’un bain moussant prêt à être utilisé, et un appartement en ordre. Aucune trace de lutte ou de quoi que ce soit d’autre. Au dire de la presse, les enquêteurs étaient dépassés.
C’était la deuxième fille à disparaître. Et j’étais sûre qu’il y avait un lien avec moi. J’avais découpé les articles de presses ainsi qu’imprimé des articles d’internet et rangé tout cela dans un cahier-classeur. Je m’étais mis à la recherche de liens, mais je n’en disposais que d’une infime partie. Je relisais tout ce que j’avais pu trouver quand Jocelin vint me trouver un soir dans le salon.
   « - Tu te prépares ? On va aller au café des illusions
      - Et la police dehors ? Demandais-je en repensant à la voiture de police dans la rue.
      - Te bile pas, ils ne vont rien y comprendre.
      - Qui vient avec nous ?
      - Y’a que nous deux. C’est suffisant maintenant que tu sais te défendre. »
      Je montais dans ma chambre pour chercher mon arme et redescendit aussi vite que j’étais montée. Dans son habit noir, Jocelin m’attendait dehors. A ma sortie, je le vis aller à une camionnette garée dans la rue et taper à la carrosserie.
    « - On va à Paris. Je vous emmène ? Au prix de l’essence, faut en profiter… »
      Il n’y eut pas un seul mot. Rien, mais je compris qu’il s’agissait d’un véhicule banalisé de la police. Comment avait-il su que c’en était un ? Il se désintéressa du véhicule et marcha jusqu’à sa petite deux chevaux. Je lui posais la question en montant :
  « - Comment le sais-tu ?
     - De quoi ? Que c’est un poulailler mobile ?
     - Oui.
     - C’est Paul qui l’a deviné. Avec ses lunettes, il peut voir au travers de ce qu’il désire. Et il a eu un doute sur le van. Alors il l’a contrôlé.
     - Est-ce qu’ils vont nous suivre ?
     - Aucune idée, et je m’en fous : ça les avancera pas. Attache ta ceinture s’il te plaît.
     - Où va-t-on ? Tu ne vas pas conduire comme un dingue pour les semer hein ? Demandais-je inquiète.
     - Non, c’est juste que l’on doit toujours porter une ceinture de sécurité dans une voiture. Ça peut sauver la vie… »
Durant un court instant je cru réellement qu’il s’inquiétait pour moi. Mais il finit sa phrase :
   « … En plus, ça limite les amendes. Et on va à Paris, au café des illusions. A ce sujet, il y a plusieurs règles à connaître. La première, ne contredit jamais Marianne. La seconde, évite autant que tu peux les ennuis. Ceux qui sont là-bas ne sont pas des enfants de cœurs. »
     Nous quittâmes rapidement notre petite ville de banlieue pour nous engager sur l’A4. L’autoroute de Paris. Au court du voyage, je l’interrogeais sur ceux qui vivaient dans le café. J’appris ainsi que c’était un repère de créatures fantastiques qui prenaient forme humaine pour survivre.
    « - Sincèrement, me dit-il, est-ce que tu crois qu’une licorne ou une vouivre pourrait se balader sur la place de Notre-Dame ou dans les jardins du Louvre sans que cela ne crée la panique ? Alors ils se cachent, et pour la plupart, ce qui nous arrive, à nous, les âmes brisées n’est que justice.
      - Comment cela ? En quoi sommes-nous responsable ?
      - Lena, pendant des décennies, du Yéti aux Fées, nous avons poursuivis toutes les autres espèces étranges. De l’antiquité à nos jours, il y a toujours eu des groupuscules obscurantistes actifs. Et la connerie est inscrite dans nos gènes, pour des raisons politiques, de richesses ou par plaisir nous avons toujours détruit ce que nous ne comprenions pas. Dis-toi que là où nous allons, nous ne serons pas considérés comme les bienvenus. Pour eux, ce n’est que justice.
     - Et Marianne ?
     - Fout-lui la paix, et tout ira bien. Ne commande rien au bar non plus. La monnaie n’est pas la même que chez nous.
     - Pourquoi n’y allons-nous que nous deux seulement si cela est dangereux ?
     - Si nous étions plus, cela passerais pour une provocation. Et cette histoire ne concerne que toi. Moi, je suis juste là pour lui délier la langue.
     - Comment vas-tu faire ?
     - Pas envie d’en parler. »
     Pour rompre une conversation, il n’y a pas mieux. Nous continuâmes ainsi notre petit voyage vers Paris en silence. La vieille voiture, avançait lentement mais sûrement sur l’autoroute. J’avais toujours aussi peur de voir mes pieds passer au travers du plancher, mais je fis avec. Soudain, je repérais un véhicule derrière nous qui nous suivait à une distance respectable. Ce ne fut qu’une fois dans les ruelles de la ville que je fus sûre de cela.
   « - Jocelin, je crois que nous sommes suivi.
     - La Mégane grise ?
     - Oui, tu l’avais vue ?
     - Bien sûr. Mais ne t’inquiète pas pour eux, ils ne vont y voir que du feu. »
     Je m’étais attendue à ce que, tout d’un coup, mon chauffeur se mette à conduire comme dans les films. Mais il se contenta de garer sa voiture dans un parking souterrain près de Notre-Dame. Sa seule parole fut un ‘’Terminus nous sommes arrivés’’
Nous sortîmes de la voiture et remontèrent jusqu’à la surface. Mon guide prit la direction du quartier Saint-Michel. Dehors, le soleil s’était couché et seule une mince bande rouge à l’horizon rappelait qu’il avait brillé aujourd’hui. La lumière du jour avais été remplacée par celles de la nuit : néons et autres panneaux lumineux. A heure-ci, le quartier fourmillait d’animations, de touristes, et de restaurant pas cher. A de nombreuses reprises nous fûmes arrêtés par un employé qui proposait un menu en amoureux, pour le plus téméraire, et famille pour le plus poli. En gros, ou j’étais une femme avide de chair fraiche, ou j’étais sa mère. Dans les deux cas, je le prenais mal. L’un d’entre eux, plus motivé que les autres s’en rappellera un moment : j’ai laissé la trace de ma main sur sa joue.
      Nous quittâmes ce quartier populaire pour aller dans des endroits un peu plus sombres, et de moins en moins fréquenté. Je constatais que nous étions toujours suivis ; trois personnes, au minimum. Même si je n’en ai toujours vu que deux.
Jocelin s’arrêta devant une porte en bois plutôt moderne. Et toucha la poignée.
   « - Prête ?
      - Oui. »
     Sans plus de préparation il l’ouvrit et entra, avant que la porte ne se referme, je le suivi. Nous nous retrouvâmes dans une petite cour mal éclairée. Elle était pavée, et les jointures mal ajustée laissaient passer une verdure qui avait du mal à survivre. On aurait dit une cour du moyen-âge, avec ses murs à la chaux et, au fond, une taverne avec une véranda. Le toit de celle-ci était d’un vert sombre, et les carreaux de verre, de mauvaise qualité déformaient les ombres. La lumière jaune, le mélange de couleur et les bruits ainsi que la musique qui en provenaient laissait à penser qu’il y régnait une ambiance chaleureuse et amicale. Était-ce bien là le lieu dangereux que l’avait décrit Jocelin ? Rien n’était moins sûr.
    « - Voilà qui n’est pas banal ! dit une voix rugueuse sur ma gauche en me faisant sursauter. L’argenté en charmante compagnie : Il va y avoir une catastrophe dans pas longtemps. »
      Je vis des yeux ronds comme des billes, verts, dans les ténèbres, me regarder d’une étrange manière. Ils étaient à cinquante centimètres au-dessus du sol, et leur propriétaire, une petite forme sombre sur le mur gris devait être adossé au mur du bâtiment.
   « - Ferme-là Brinker. Répliqua Jocelin.
      - Quoi ?! Je ne fais que constater que celui qui est sans cœur s’est attendrit. C’est tout.
      - Tu te goures sur toute la ligne. Je viens juste chercher des réponses.
      - Pour elle ? Ça tombe plutôt bien : y’en a pas mal qui ont des questions à lui poser… Si tant est qu’ils soient disposés à l’échange d’informations, et qu’elle ait les réponses.
      - Que veux-tu dire ?
      - Oulla… Moi j’ai rien dit. Vois ça avec La Rouge, moi, je ne veux pas d’ennuis. Par contre, un petit câlin avec la dame… »
      Je reculais avec dégout en voyant une rangées de dents jaunes et disparates apparaître lors d’un immonde rictus. Mes yeux s’accoutumèrent à la pénombre, et je pu ainsi distinguer un énorme rat qui fumait un genre de calumet. Un gilet en tweed ouvert, et mal entretenu était son seul habit.
    « … qu’est-ce qu’il y a poupée ? Ce ne tente pas ? Je t’assure : dans le noir je sais y faire…
       - Fout-lui la paix, coupa Jocelin avant de poursuivre à mon égard, viens. »
      Je suivi le jeune homme en direction du bâtiment animé. Je me retournais fréquemment pour surveiller l’horrible animal me regarder en souriant. A notre entrée, l’atmosphère changea du tout au tout. Elle avait été joyeuse, pleine de gaîté et de bonne humeur. Désormais, elle était lourde, pesante, la musique qui, quelques minutes encore filtrait par fenêtres avait disparue et tous les protagonistes nous observaient. Pour les plus simples, c’étaient de la curiosité, pour les autres, une méfiance et une animosité non masquée animaient leurs regards. Devant moi, il y avait toutes sortes de personnages et de créatures tirées des mythes et des légendes. Peut-être un ou deux contes aussi… je n’aurais su le dire avec précision tant ils étaient disparates. Mais, en y repensant, je me rappelle d’un certain nombre de choses. L’entrée donnait immédiatement sur le bar, auquel étaient attablés un certain nombre de créatures étranges, de manière exhaustive : un cyclope, qui tenait deux femmes à la peau verte ,plutôt dévêtues, par la taille, un homme avec de multiples tentacules à la place des bras, et un autre extrêmement poilu. Derrière le bar, le tenancier, énorme, avec une peau d’européen moyen et un ventre proéminent. Son visage de forme carré, avec une mâchoire avancée et les deux canines inférieures qui dépassaient des lèvres était clairement inamical. Il avait les cheveux coupés très courts, comme un militaire. Haut-dessus de sa tête, là où sont normalement rangés les verres dans les café normaux, s’étalait un café miniature ou des fées et autres petites créatures étaient attablées. A ma droite et à ma gauche, s'alignaient des tables avec des bancs remplis de convives tous aussi disparates les uns que les autres. Chacun de ces cotés se finissait par une porte en bois.
      Le silence était vraiment gênant.
    « - Bonsoir, nous venons voir Marianne. Dit simplement Jocelin en allant sur la droite. Nous ne serons pas long.
      - Une petite minute L'argenté. Fit une douce voix venue de bar. Toi, connaissant ta relation avec La Rouge, tu es toléré ici... Elle... Non. »
      Rapidement, des invités se levèrent pour nous bloquer le passage vers la porte. Connaissant Jocelin, je savais que la situation allait dégénérer. En me retournant, je vis le rat Brinker s'adosser au montant de la porte avec son calumet. Il souriait toujours autant, je n'aurais su dire s'il s'amusait de notre situation délicate où s'il pensait à des horreur me concernant. Jocelin s'était figé, je sentais ses méninges tourner à plein régime.
      Ma main glissa sur le taser tandis que la sortie était elle aussi bloquée par les étranges clients du bar.
    « - Bonsoir Kud. Dois-je aller expliquer à Marianne les raisons pour laquelle elle n'obtiendra rien ? »
      A ces mots, nos assaillants cessèrent de se rapprocher de nous. Nous étions dos à dos avec Jocelin, et je vis une boule de poil mauve se déplacer sur le bar : Un chat. Ses yeux verts était clairement agressif et ne cessaient de nous regarder. Il y avait tellement de créatures étranges dans ce café que celle-là ne me choquait pas plus que les autres.
   « - Écoute moi bien, je suis ici pour la protéger, et je ne changerais pas d'avis. Tu peux monter. Pas elle.
     - Lena, on s'en va, j'en toucherais un mot à Marianne la prochaine fois.
     - Et Pourquoi donc ? Je t'ai dit que tu pouvais y aller.
     - Et moi, je t'ai dit que je n'irais pas sans elle. »
      Pendant un court instant, les deux protagonistes de cet échanges se regardèrent. Le chat cherchant le mensonge dans les yeux du gothique, et Jocelin, avec le visage déterminé. Je savais qu'en son fort intérieur, il avait déjà dû insulter le félin mauve de toutes les nom possibles. Mais, avec une intelligence que je ne lui aurais pas cru possible, il se maîtrisait. En dehors d'empirer la situation, cela n'aurait eut aucun effet. Nous n'étions pas les bienvenus, soit, mais de là à clairement chercher la bagarre, il y avait un pas. Et, mon guide, dans son manteau noir, faisais un effort non négligeable pour ne pas le faire.
   « - T'en portes-tu garant ?
      - Oui. Elle n'est pas à pour chercher des ennuis. Juste des réponses. »
De nouveaux, le chat garda le silence. Me jaugeant cette fois-ci, il y avait dans ses yeux, une interrogation que j'avais du mal à définir. Il savait vraisemblablement des chose que j'ignorais, et qui me concernaient certainement.
   « - Laissez-les monter. Si cela ne lui convient pas, ils ne redescendront pas. »
Les personnes ne bougèrent pourtant pas d'un millimètre, bien décidés à nous empêcher de passer. Alors que le chat dénommé Kud allait reprendre la parole, Brinker, à l'entrée du café, le devança.
   « - Hé, tout le monde, la rouge a survécu aux croisades et à tout ces tarés en armure. Ces deux-là ne seront pas un problème si elle veut écourter la rencontre. »
      Jocelin avança lentement vers la porte au fond de la salle sans quitter des yeux ceux qui étaient face à lui. Il y eut des défis qui s'étaient lancés. Chacun cherchant à provoquer l'autre pour le faire attaquer en premier. Mais, en forçant légèrement le passage, le gothique passa, et je le suivi, sous les regards appuyés des usagers du café.