[Note de l'auteur : Bonjour à tous ! pour ce chapitre, il y a une petite surprise ! un dessin fait par une personne rencontré sur un forum d'art. Bonne lecture, et n'hésitez pas à commenter, que ce soit l'histoire ou le dessin !]
Dessin de Nokomo Chéongre |
L'impression que me laissa Marianne à
notre première rencontre fut assez mauvaise. Si j'avais su les raisons qui
l'avaient mise dans cet état d'esprit, peut-être que cela m'aurait rendue plus
tolérante. Alors que nous montions les escaliers en bois qui grinçaient sous
nos pas, derrière la porte, je remarquais qu'à aucun moment Jocelin ou Marianne
n'avaient été appelés par leurs noms. Ils y avaient fait références en parlant
de ''L'argenté'' pour Jocelin et de ''La Rouge'' pour Marianne. Je n'eus pas le
temps de le questionner sur le sujet : il avait déjà frappé à la porte qui
se trouvait en haut des escaliers. Comme les murs qui nous entouraient, la
porte avait vieilli. La peinture verte s'était écaillé et laissait des parties
du bois apparentes.
« - Entrez. » Fit une voix
féminine sur un ton neutre.
Nous pénétrâmes alors dans une immense
bibliothèque. Les livres qui y étaient rangés étaient très vieux... je vis même
des rouleaux de papyrus et des parchemins. Malgré l’âge, tout était rangé et propre. Au fond, dans une véranda, à
la lumière d'une lampe électrique, une femme lisait un livre. La véranda était
remplie de mobilier en osier. Deux chaises et une petite table, Sur des supports
forgés, des plantes tropicales et pleines de vie trônaient. Au sol, les
carreaux de carrelage blancs et noirs, usés, détaillaient avec force la
quantité de passage que cette pièce avait pu avoir. Marianne était là, assise
sur l’une des chaises en osier, un livre ouvert posé devant elle. Elle avait
été contemporaine des croisades, et je m'étais attendue une vieille femme
acariâtre, suffisamment puissante pour terrifier toutes les personnes dans le
bar en bas. Mais la femme que j'avais sous les yeux devait avoir le même âge
que moi, peut-être un peu plus âgée. Elle était blanche de peau, et ses longs cheveux
blonds aussi dorés que les blés glissaient dans son dos comme une cascade. Cette
beauté et cette santé contrastait énormément avec ses yeux marrons, vides de toute
joie de vivre, qui regardaient au travers de lunettes carrées avec une monture
discrète. Elle portait une robe d'été, blanche et légère, et des souliers
blancs eux aussi, telle une mariée oubliée dans un jardin intérieur.
« - Tiens ?! Jocelin.... Cela
fait un moment que je ne t'ai pas vu.
- Bonsoir Marianne.
- Tu viens pour moi ? C'est une charmante attention.
- Je viens juste chercher des réponses.
- Dommage... »
Une petite trace de déception passa sur
son visage, vite remplacé par un intérêt pour moi. A peine ses yeux croisèrent
les miens que je ressentis une puissance énorme. Comme si j'avais été à côté
d'une arme atomique prête à exploser. Des flammes, du souffre, et du sang,
c'était les impressions telles qu'elle me les laissait.
« - Qui est-ce ?
Demanda-t-elle froidement.
- Une amie qui m'accompagne. Nous avons tous les deux besoins de
réponses sur son état.
- Pour ton amie donc ? Qu'est-ce qui te dis que je vais accepter de
t'aider ?
- Je suis prêt à payer.
- Payer pour elle ? Sérieusement ? Bravo, tu viens de me
convaincre de vous mettre dehors...
- J'ai mes raisons, mais pas celles que tu imagines.
- Et tu serais prêt à payer pour cela ?
- Oui. »
Elle me regardait désormais, comme on
observe un morceau de viande froide alors que l’on vient de manger. L'énergie
que je ressentais, avec son attitude glacée me tétanisait. Je n'arrivais pas à ôter
ces images de feu et de sang de mon esprit. Je fus alors persuadée que ce
n'étais pas une simple médium. Si elle n'avait pas trouvé un intérêt à ce que
j’avais dit, j'aurais probablement été tuée.
« - Et comment vous appelez-vous
jeune fille ? Commença-t-elle.
- Lena, répondis-je.
- Alors, quel est votre problème ?
- Je suis poursuivie par des démons. Répondis-je en imaginant être face
à une psychiatre.
- Ça, je ne peux rien y faire. C'est la conséquence de la rupture de
votre âme.
- Comment est-ce que...
- Je le sais ? Finit-elle ma phrase. Pour commencer, je connais
Jocelin depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'il n’amènerait personne
d'autre ici. Ensuite, je vous sens... »
Un démon, j'avais en face de moi un
démon, je fus terrifiée à cette pensée. Je ne savais vraiment pas ce dans quoi
Jocelin m'avait emmenée, mais j'étais vraiment inquiète sur la finalité de
cette entrevue.
« - Ce n'est pas le problème...
coupa Jocelin. Le problème c'est qu'elle en a des puissants à ses trousses, et
ils ont essayé de s'en débarrasser avant que son âme ne se soit
reconstruite. »
A ces paroles, la femme leva un
sourcil. Elle s'installa un peu mieux dans son siège avant de sortir un paquet
de cigarettes. Elle en prit une, et, après avoir claqué des doigts, une flamme
apparue au bout du pouce de son poing serré. La cigarette allumée, elle fit
disparaître la flamme en secouant sa main.
« - En effet, c'est étrange...
Est-ce que tu as des noms ?
- Alibaras et Azraël.
- Oulla.... Alibaras est dangereux. Mais Azraël, un prince démon, c'est
du lourd. Il se déplace rarement hors des royaumes, s'il bouge, il y a de quoi
s'inquiéter, même pour nous. Je comprends mieux maintenant pourquoi les démons
du coin s'agitent. Il se passe quelque chose, et je ne suis pas sure d'aimer
cela...Et il ne sert à rien de vous demander : vous ne savez probablement
rien non plus… Ma chère, votre salut ne passera que par la compréhension rapide
de ce qu’Azraël veut. Et, dans tous les cas, ne le lui donnez jamais !
- N'est-ce pas mon âme ? Demandais-je.
- Non, il est trop complexe pour cela. Alibaras passe encore, il peut en
vouloir à votre âme. Mais Azraël,... c'est le démon de la mort et du destin.
Manipulateur et machiavélique, faites extrêmement attention avec ses marchés et
ses pactes : ce qu'il veut n'est jamais explicite. Je vous conseillerais
de ne jamais en passer.
- Trop tard. Commenta Jocelin.
- Elle fait ce qu'elle veut, ce n'est qu'un conseil, reprit froidement
Marianne. A ce jour, personne ne lui a jamais échappé. Quel est votre pouvoir ?
- Euh... Je ne sais pas. Dis-je.
- Il n'est pas encore apparu, mais il peut déjà être altéré. Continua
Jocelin.
- Pardon ? Un pouvoir ne peut-être altéré que s'il est déjà
existant. Il a certainement déjà été utilisé, plus d'une fois même, mais
personne n'a dû y faire attention.
- Tu le penses ?
- Non, j'en suis certaine. Faites plus attention, il est possible que
cela ait un lien avec les desseins d'Azraël.
- Et Alibaras ? Demandais-je.
- Alibaras n’est qu’un écervelé violent. Seul, il est à peine dangereux,
une bonne claque et c'est réglé. Ce qui pourrait m'inquiéter plus, ce serait
qu’il se soit allié à Azraël. Cela risquerait de dégénérer rapidement, et de vraiment
mal finir... Pour tout le monde. »
Cette dernière phrase me confortait
dans mon sentiment que quelque chose de terrible se tramait. Après un soupir où
une épaisse fumée sorti de ses narines, Marianne se leva et se dirigea vers
moi.
« - Bon, commencez par me montrer
où l’autre naze vous a frappé. »
Inquiète, je demandais du regard son
avis à Jocelin. D’une manière imperceptible, il hocha la tête.
« - Ecoutez, je n’ai pas toute ma
journée, vous voulez des réponses, laissez-moi faire. Dans le cas contraire
allez-vous-en. »
Je relevais mon chemisier après avoir
ouvert mon tailleur. Elle toucha ma peau, au niveau du plexus. Et elle eut un
léger recul et une expression de surprise sur le visage.
« - Oh non… murmura-t-elle. Dites-moi
que ce n’est pas vrai… Faites voir vos mains. »
Sans que je ne les lui donne, elle prit
une de mes mains et la regarda, des deux côtés, ne croyant pas vraiment ce
qu’elle voyait.
« - Ha ! Mais quel con !
Pesta-t-elle visiblement à l’encontre d’Alibaras. Vos pieds ! »
Sans ménagement, et avec une force que
je ne lui aurais pas crue, elle me jeta sur la chaise en osier libre et attrapa
une de mes jambes. Elle jeta la chaussure pour regarder mon pied nu, comme elle
l’avait fait avec mes mains. Je jetais un regard implorant à Jocelin, lui
demandant un peu d’aide. Mais ce dernier semblait inquiet en regardant Marianne
me triturer le pied dans tous les sens.
Soudain, elle lâcha mon pied, et se
releva lentement. Pendant tout ce temps, elle avait gardé sa cigarette à la
main. Son regard envers moi avait changé : désormais, au lieu d’être
observée avec froideur, je sentais que j’étais quelque chose d’insolite. Un peu
comme une cafetière expresso en orbite autour de la terre : L’objet est
connu, mais il n’est pas au bon endroit. Retourna s’asseoir dans son fauteuil
en osier, et, le regard vide elle se mit à regarder dehors.
« - Marianne, est-ce que… commença
Jocelin.
- Tirez-vous. J’ai besoin de réfléchir. Nous verrons le paiement plus
tard.
- Lena, viens. Me murmura-t-il doucement. Il faut partir, et vite.
- Mais… commençais-je.
- Pas de mais ! On se casse ! Vite ! »
Je vis l’urgence dans ses yeux.
Pourtant, rien n’indiquait que nous étions en danger. Il se dirigea vers la
porte, et je le suivi après avoir récupéré mon soulier. Avant de sortir, je
jetais un dernier regard à cette étrange femme en passant devant le jeune homme
qui retenait la porte. Elle n’avait pas bougé, et, durant un court instant, je
crus qu’elle pleurait. Mais la porte se referma sur nous avant que je ne puisse
m’en être assurée. Jocelin me poussait légèrement pour descendre les escaliers.
Nous entrâmes de nouveau dans le bar, et, là encore tous les regards se
dirigèrent vers nous.
Avec un simple « Bonsoir à
tous », Jocelin se dirigea vers la sortie. J’étais sur ses talons,
ignorant superbement les regards inquisiteurs à mon égard. Une fois dehors, le
jeune homme s’arrêtât au milieu de la cour, et prit une énorme inspiration
avant de s’allumer une cigarette. De nouveau, il m’en proposa une, que je
refusais encore une fois.
Il haussa les épaules avant de remettre
le paquet dans sa poche.
« - Qu’a-t-elle vu ? Et cette
femme est un démon ?
- Non, elle n’a rien de démoniaque si ce n’est son caractère. Quand à ce
qu’elle a vu… J’en sais rien. Mais ça devenait mauvais pour nous. Je la connais
depuis suffisamment longtemps pour savoir quand me tirer.
- Mais on est venu chercher des réponses ! Et tu ne réponds pas à
mes questions, qu’est-elle ? Commençais-je à m’énerver.
- Très curieuse ta copine dis-donc…
- Lâche-nous Brinker. »
Le gros rat était de nouveau sorti du
café. Il alluma son calumet calmement à l’aide d’une allumette. Il tournait autour
de nous à une distance respectable.
« - Bon, l’Argenté, parlons
sérieusement maintenant, Qu’est-ce qui ce qui se passe ?
- A quel sujet ?
- La Rouge ne t’en a pas parlé ? Les démons sont nerveux…
- Si, mais elle n’est pas allée plus loin dans les explications. »
Dis-je.
Le rat commença à faire des ronds de
fumée dans la nuit. Puis, il regarda le ciel. Qu’y cherchait-il, je n’aurais
vraiment su le dire.
« - Ils sont nerveux, ils cherchent
quelqu’un, nous supposons qu’il s’agit d’une âme brisée. Tu connais pourtant
notre situation l’Argenté… non ? Nous ne pouvons pas vivre parmi les
Hommes. Et quand les démons sont nerveux, vu qu’ils ne peuvent pas se défouler
sur les Hommes au risque de créer une âme brisée, c’est vers nous qu’ils se
tournent. On prend cher en ce moment. Ils ont même défoncé la porte de ma
maison.
- Tes femmes ? Tes gosses ? Demanda Jocelin qui levait lui
aussi les yeux vers le ciel.
- En dehors de l’ainée, qui a refusée de partir se mettre à l’abri à la
campagne, tout le monde est sauf.
- Est-ce qu’elle…
- Oui. Ils se sont vraiment acharnés sur elle.
- Est-ce que tu sais qui a fait cela ?
- Je m’en suis occupé si c’est ce que tu veux savoir. Mais bon, les
renvoyer là-bas… est-ce vraiment une vengeance ? Je ne crois pas… ça ne
change rien, j’ai toujours autant la haine envers eux.
- Attendez, que voulez-vous dire par ‘’Renvoyé là-bas’’ ? »
Coupais-je.
Le rat me regarda avec un air surpris
puis amusé. Jocelin ne dit rien, mais dans ses yeux, je compris qu’il avait
oublié de me parler de quelque chose.
« - Vous deviez être blonde vous…
la couleur est plutôt réussie. On ne voit quasiment pas la différence. Enfin
bref, l’Argenté : pas mal de monde va faire la chasse à l’âme brisée,
jusqu’à ce que celle qu’ils cherchent soit éliminé. Essayez d’être prudent, toi
et tes copains.
- Qu’est-ce que cette information va me couter ?
- Protège ta blonde. Il y a fort à parier que c’est elle qu’ils
recherchent. Moi, tant qu’elle est en vie, je sais que ça les emmerde et ça me
convient.
- Oh ! Vous allez arrêter de vous foutre de ma gueule. Je commence
à en avoir marre de tous ces secrets et de tout ce bazar ! C’est gonflant
à force ! Répondez correctement à mes questions pour une fois ! J’en
ai marre, y’a un démon charmeur et puceau qui me veut je ne sais quoi, un rat
nymphomane et alcoolique qui veut me sauter, et une espèce de dragon qui est à
la limite de me bouffer après m’avoir auscultée ! Et je ne parle pas de l’autre
malade responsable de tout ce bordel ! J’en ai ras le cul ! »
Je saturais complètement, j’avais l’impression
d’être dans un de ces épisodes d’X-files où Scully et Mulder posent des
questions, mais leurs interlocuteurs ne répondent jamais. Ils éludent toujours
le sujet, continuant la conversation comme s’ils n’avaient rien entendu. Pourtant,
ma colère se dissipa en voyant les regards surpris de mes deux interlocuteurs.
Tous les deux s’étaient figés dans leurs positions respectives. Brinker avait
la bouche ouverte, et Jocelin me regardait étrangement.
« - Dommage, trop clairvoyante à
mon goût…
- Lena, dit simplement Jocelin face à mon visage rouge de colère, tu ne
peux pas tuer un démon. Tu peux le rendre inoffensif, le capturer, ou le
renvoyer en Enfer, mais tu ne peux pas le tuer. Si tu avais attendu que l’on
soit à la maison, je te l’aurais expliqué là-bas… On s’est fait remarquer,
allons-nous en. »
En effet, deux ou trois créatures
sortirent du café pour voir ce qui se passait dehors. Un gros tas poils
informe, le barman, et un énorme lézard aux couleurs vert bouteille. Ils n’avaient
pas l’air amicaux. Et, en s’approchant de nous, ils se séparèrent. Le serveur
au milieu, le lézard à notre gauche et la boule de poil à droite. Jocelin
attrapa mon poignet et me tira vers la sortie. A notre approche de la porte
donnant sur la rue, les trois monstres se stoppèrent, et ils nous observèrent
sortir dans la rue. Brinker, le rat, nous regardaient alternativement, comme un
spectateur dans une pièce de théâtre.
Une fois de l’autre côté, dans la rue
je me figeais avant de demander à Jocelin :
« - Euh… ce n’est pas par là que
nous sommes entrés dans la cour du café : je reconnais le quartier… nous
sommes à Montmartre, près du Sacré-Cœur. » Dis-je, peu rassurée dans la
rue déserte et mal éclairée.
- Tout juste. Me dit-il avec un sourire. Le Café des Illusions est lié à
beaucoup de portes dans Paris. Si une créature fantastique ouvre une porte en
voulant rejoindre le café, il se retrouve dans la cour. Ça marche aussi pour
les âmes brisées. Et cela fonctionne aussi dans le sens inverse.
- Mais, alors, la police…
- Ne trouveras jamais le café. Finit-il ma phrase. S’ils entrent
derrière nous alors que la porte s’est refermée, ce sera le lieu réel, pas le
café. Et vu qu’on réapparaît à Montmartre… ils ne vont rien y comprendre. C’est
aussi une mesure de protection pour les créatures fantastiques qui étaient dans
le bar.
- N’y-a-t-il pas un risque que les démons y fassent une descente ?
Ton ami Brinker avait l’air d’en parler comme de la Gestapo.
- Primo, ce n’est pas mon ami. Secundo, tant que Marianne sera là, les
démons ne se risqueront pas à prendre le café d’assaut. Merde… On avait besoin
de ça… »
Le gothique regardait par-dessus mon
épaule. Et semblait véritablement ennuyé. De manière instinctive, je me
retournais, cinq silhouettes venaient du boulevard en bas. Ces cinq ombres
parlaient haut et fort, en se dirigeant vers nous, ils chahutaient violement, vociféraient
et plaisantaient de manière grasse dans la rue déserte et mal éclairée. L’un
deux nous apostropha.
« - Re-merde, dans la ruelle ! Vite ! »
me murmura Jocelin en m’y trainant.