dimanche 8 juillet 2012

12 - Le Café des Illusions

     Je pourrais ici raconter en détail ce qui se passa les jours qui suivirent cet entretien. Mais cela ne servirait à rien car, en dehors d’être suivie un peu partout par des policiers en civil, il ne se passa rien.
Enfin si, un matin un peu plus froid que les autres, Paul alla chercher les deux agents dans leur véhicule pour leur proposer un café. Gentiment refusé, mais ils comprirent que l’on savait où ils étaient, et ce qu’ils faisaient.
     De mon côté, je m’entraînais au fouet chaque soir. Au bout de deux semaines, j’avais compris le ‘’truc’’ pour conserver le mouvement sur la lanière de cuir et frapper avec une certaine précision. Je pouvais désormais toucher une feuille de papier A4 avec précision sans ralentir mon mouvement. Je savais faire claquer le fouet comme Indiana Jones et, Vanessa me le confirma, c’était plutôt impressionnant. D’après elle, ça l’était encore plus avec le fouet de foudre que produisait le taser. La couleur bleue lumineuse, ajoutée aux mouvements rapides du fouet créaient une persistance rétinienne sur quiconque me regardait le manipuler. A en croire Alphonse, j’étais entourée de lumière. Grâce à cela, je pouvais cacher mes mouvements sous la trainée lumineuse.
     Les journaux relatèrent la disparition d’une autre jeune fille. Elle était aussi jeune que la première, mais celle-ci était d’origine africaine. La communauté musulmane s’était indignée d’une telle disparition, supposant un crime raciste. Mais, je me doutais qu’il était tout autre : elle avait disparue dans sa maison familiale, alors que celle-ci avait été fermée à clef. Ceux qui avaient donné l’alerte, furent les voisins qui entendirent hurler. Mais à l’arrivée des secours, elle avait disparue, ne laissant qu’un bain moussant prêt à être utilisé, et un appartement en ordre. Aucune trace de lutte ou de quoi que ce soit d’autre. Au dire de la presse, les enquêteurs étaient dépassés.
C’était la deuxième fille à disparaître. Et j’étais sûre qu’il y avait un lien avec moi. J’avais découpé les articles de presses ainsi qu’imprimé des articles d’internet et rangé tout cela dans un cahier-classeur. Je m’étais mis à la recherche de liens, mais je n’en disposais que d’une infime partie. Je relisais tout ce que j’avais pu trouver quand Jocelin vint me trouver un soir dans le salon.
   « - Tu te prépares ? On va aller au café des illusions
      - Et la police dehors ? Demandais-je en repensant à la voiture de police dans la rue.
      - Te bile pas, ils ne vont rien y comprendre.
      - Qui vient avec nous ?
      - Y’a que nous deux. C’est suffisant maintenant que tu sais te défendre. »
      Je montais dans ma chambre pour chercher mon arme et redescendit aussi vite que j’étais montée. Dans son habit noir, Jocelin m’attendait dehors. A ma sortie, je le vis aller à une camionnette garée dans la rue et taper à la carrosserie.
    « - On va à Paris. Je vous emmène ? Au prix de l’essence, faut en profiter… »
      Il n’y eut pas un seul mot. Rien, mais je compris qu’il s’agissait d’un véhicule banalisé de la police. Comment avait-il su que c’en était un ? Il se désintéressa du véhicule et marcha jusqu’à sa petite deux chevaux. Je lui posais la question en montant :
  « - Comment le sais-tu ?
     - De quoi ? Que c’est un poulailler mobile ?
     - Oui.
     - C’est Paul qui l’a deviné. Avec ses lunettes, il peut voir au travers de ce qu’il désire. Et il a eu un doute sur le van. Alors il l’a contrôlé.
     - Est-ce qu’ils vont nous suivre ?
     - Aucune idée, et je m’en fous : ça les avancera pas. Attache ta ceinture s’il te plaît.
     - Où va-t-on ? Tu ne vas pas conduire comme un dingue pour les semer hein ? Demandais-je inquiète.
     - Non, c’est juste que l’on doit toujours porter une ceinture de sécurité dans une voiture. Ça peut sauver la vie… »
Durant un court instant je cru réellement qu’il s’inquiétait pour moi. Mais il finit sa phrase :
   « … En plus, ça limite les amendes. Et on va à Paris, au café des illusions. A ce sujet, il y a plusieurs règles à connaître. La première, ne contredit jamais Marianne. La seconde, évite autant que tu peux les ennuis. Ceux qui sont là-bas ne sont pas des enfants de cœurs. »
     Nous quittâmes rapidement notre petite ville de banlieue pour nous engager sur l’A4. L’autoroute de Paris. Au court du voyage, je l’interrogeais sur ceux qui vivaient dans le café. J’appris ainsi que c’était un repère de créatures fantastiques qui prenaient forme humaine pour survivre.
    « - Sincèrement, me dit-il, est-ce que tu crois qu’une licorne ou une vouivre pourrait se balader sur la place de Notre-Dame ou dans les jardins du Louvre sans que cela ne crée la panique ? Alors ils se cachent, et pour la plupart, ce qui nous arrive, à nous, les âmes brisées n’est que justice.
      - Comment cela ? En quoi sommes-nous responsable ?
      - Lena, pendant des décennies, du Yéti aux Fées, nous avons poursuivis toutes les autres espèces étranges. De l’antiquité à nos jours, il y a toujours eu des groupuscules obscurantistes actifs. Et la connerie est inscrite dans nos gènes, pour des raisons politiques, de richesses ou par plaisir nous avons toujours détruit ce que nous ne comprenions pas. Dis-toi que là où nous allons, nous ne serons pas considérés comme les bienvenus. Pour eux, ce n’est que justice.
     - Et Marianne ?
     - Fout-lui la paix, et tout ira bien. Ne commande rien au bar non plus. La monnaie n’est pas la même que chez nous.
     - Pourquoi n’y allons-nous que nous deux seulement si cela est dangereux ?
     - Si nous étions plus, cela passerais pour une provocation. Et cette histoire ne concerne que toi. Moi, je suis juste là pour lui délier la langue.
     - Comment vas-tu faire ?
     - Pas envie d’en parler. »
     Pour rompre une conversation, il n’y a pas mieux. Nous continuâmes ainsi notre petit voyage vers Paris en silence. La vieille voiture, avançait lentement mais sûrement sur l’autoroute. J’avais toujours aussi peur de voir mes pieds passer au travers du plancher, mais je fis avec. Soudain, je repérais un véhicule derrière nous qui nous suivait à une distance respectable. Ce ne fut qu’une fois dans les ruelles de la ville que je fus sûre de cela.
   « - Jocelin, je crois que nous sommes suivi.
     - La Mégane grise ?
     - Oui, tu l’avais vue ?
     - Bien sûr. Mais ne t’inquiète pas pour eux, ils ne vont y voir que du feu. »
     Je m’étais attendue à ce que, tout d’un coup, mon chauffeur se mette à conduire comme dans les films. Mais il se contenta de garer sa voiture dans un parking souterrain près de Notre-Dame. Sa seule parole fut un ‘’Terminus nous sommes arrivés’’
Nous sortîmes de la voiture et remontèrent jusqu’à la surface. Mon guide prit la direction du quartier Saint-Michel. Dehors, le soleil s’était couché et seule une mince bande rouge à l’horizon rappelait qu’il avait brillé aujourd’hui. La lumière du jour avais été remplacée par celles de la nuit : néons et autres panneaux lumineux. A heure-ci, le quartier fourmillait d’animations, de touristes, et de restaurant pas cher. A de nombreuses reprises nous fûmes arrêtés par un employé qui proposait un menu en amoureux, pour le plus téméraire, et famille pour le plus poli. En gros, ou j’étais une femme avide de chair fraiche, ou j’étais sa mère. Dans les deux cas, je le prenais mal. L’un d’entre eux, plus motivé que les autres s’en rappellera un moment : j’ai laissé la trace de ma main sur sa joue.
      Nous quittâmes ce quartier populaire pour aller dans des endroits un peu plus sombres, et de moins en moins fréquenté. Je constatais que nous étions toujours suivis ; trois personnes, au minimum. Même si je n’en ai toujours vu que deux.
Jocelin s’arrêta devant une porte en bois plutôt moderne. Et toucha la poignée.
   « - Prête ?
      - Oui. »
     Sans plus de préparation il l’ouvrit et entra, avant que la porte ne se referme, je le suivi. Nous nous retrouvâmes dans une petite cour mal éclairée. Elle était pavée, et les jointures mal ajustée laissaient passer une verdure qui avait du mal à survivre. On aurait dit une cour du moyen-âge, avec ses murs à la chaux et, au fond, une taverne avec une véranda. Le toit de celle-ci était d’un vert sombre, et les carreaux de verre, de mauvaise qualité déformaient les ombres. La lumière jaune, le mélange de couleur et les bruits ainsi que la musique qui en provenaient laissait à penser qu’il y régnait une ambiance chaleureuse et amicale. Était-ce bien là le lieu dangereux que l’avait décrit Jocelin ? Rien n’était moins sûr.
    « - Voilà qui n’est pas banal ! dit une voix rugueuse sur ma gauche en me faisant sursauter. L’argenté en charmante compagnie : Il va y avoir une catastrophe dans pas longtemps. »
      Je vis des yeux ronds comme des billes, verts, dans les ténèbres, me regarder d’une étrange manière. Ils étaient à cinquante centimètres au-dessus du sol, et leur propriétaire, une petite forme sombre sur le mur gris devait être adossé au mur du bâtiment.
   « - Ferme-là Brinker. Répliqua Jocelin.
      - Quoi ?! Je ne fais que constater que celui qui est sans cœur s’est attendrit. C’est tout.
      - Tu te goures sur toute la ligne. Je viens juste chercher des réponses.
      - Pour elle ? Ça tombe plutôt bien : y’en a pas mal qui ont des questions à lui poser… Si tant est qu’ils soient disposés à l’échange d’informations, et qu’elle ait les réponses.
      - Que veux-tu dire ?
      - Oulla… Moi j’ai rien dit. Vois ça avec La Rouge, moi, je ne veux pas d’ennuis. Par contre, un petit câlin avec la dame… »
      Je reculais avec dégout en voyant une rangées de dents jaunes et disparates apparaître lors d’un immonde rictus. Mes yeux s’accoutumèrent à la pénombre, et je pu ainsi distinguer un énorme rat qui fumait un genre de calumet. Un gilet en tweed ouvert, et mal entretenu était son seul habit.
    « … qu’est-ce qu’il y a poupée ? Ce ne tente pas ? Je t’assure : dans le noir je sais y faire…
       - Fout-lui la paix, coupa Jocelin avant de poursuivre à mon égard, viens. »
      Je suivi le jeune homme en direction du bâtiment animé. Je me retournais fréquemment pour surveiller l’horrible animal me regarder en souriant. A notre entrée, l’atmosphère changea du tout au tout. Elle avait été joyeuse, pleine de gaîté et de bonne humeur. Désormais, elle était lourde, pesante, la musique qui, quelques minutes encore filtrait par fenêtres avait disparue et tous les protagonistes nous observaient. Pour les plus simples, c’étaient de la curiosité, pour les autres, une méfiance et une animosité non masquée animaient leurs regards. Devant moi, il y avait toutes sortes de personnages et de créatures tirées des mythes et des légendes. Peut-être un ou deux contes aussi… je n’aurais su le dire avec précision tant ils étaient disparates. Mais, en y repensant, je me rappelle d’un certain nombre de choses. L’entrée donnait immédiatement sur le bar, auquel étaient attablés un certain nombre de créatures étranges, de manière exhaustive : un cyclope, qui tenait deux femmes à la peau verte ,plutôt dévêtues, par la taille, un homme avec de multiples tentacules à la place des bras, et un autre extrêmement poilu. Derrière le bar, le tenancier, énorme, avec une peau d’européen moyen et un ventre proéminent. Son visage de forme carré, avec une mâchoire avancée et les deux canines inférieures qui dépassaient des lèvres était clairement inamical. Il avait les cheveux coupés très courts, comme un militaire. Haut-dessus de sa tête, là où sont normalement rangés les verres dans les café normaux, s’étalait un café miniature ou des fées et autres petites créatures étaient attablées. A ma droite et à ma gauche, s'alignaient des tables avec des bancs remplis de convives tous aussi disparates les uns que les autres. Chacun de ces cotés se finissait par une porte en bois.
      Le silence était vraiment gênant.
    « - Bonsoir, nous venons voir Marianne. Dit simplement Jocelin en allant sur la droite. Nous ne serons pas long.
      - Une petite minute L'argenté. Fit une douce voix venue de bar. Toi, connaissant ta relation avec La Rouge, tu es toléré ici... Elle... Non. »
      Rapidement, des invités se levèrent pour nous bloquer le passage vers la porte. Connaissant Jocelin, je savais que la situation allait dégénérer. En me retournant, je vis le rat Brinker s'adosser au montant de la porte avec son calumet. Il souriait toujours autant, je n'aurais su dire s'il s'amusait de notre situation délicate où s'il pensait à des horreur me concernant. Jocelin s'était figé, je sentais ses méninges tourner à plein régime.
      Ma main glissa sur le taser tandis que la sortie était elle aussi bloquée par les étranges clients du bar.
    « - Bonsoir Kud. Dois-je aller expliquer à Marianne les raisons pour laquelle elle n'obtiendra rien ? »
      A ces mots, nos assaillants cessèrent de se rapprocher de nous. Nous étions dos à dos avec Jocelin, et je vis une boule de poil mauve se déplacer sur le bar : Un chat. Ses yeux verts était clairement agressif et ne cessaient de nous regarder. Il y avait tellement de créatures étranges dans ce café que celle-là ne me choquait pas plus que les autres.
   « - Écoute moi bien, je suis ici pour la protéger, et je ne changerais pas d'avis. Tu peux monter. Pas elle.
     - Lena, on s'en va, j'en toucherais un mot à Marianne la prochaine fois.
     - Et Pourquoi donc ? Je t'ai dit que tu pouvais y aller.
     - Et moi, je t'ai dit que je n'irais pas sans elle. »
      Pendant un court instant, les deux protagonistes de cet échanges se regardèrent. Le chat cherchant le mensonge dans les yeux du gothique, et Jocelin, avec le visage déterminé. Je savais qu'en son fort intérieur, il avait déjà dû insulter le félin mauve de toutes les nom possibles. Mais, avec une intelligence que je ne lui aurais pas cru possible, il se maîtrisait. En dehors d'empirer la situation, cela n'aurait eut aucun effet. Nous n'étions pas les bienvenus, soit, mais de là à clairement chercher la bagarre, il y avait un pas. Et, mon guide, dans son manteau noir, faisais un effort non négligeable pour ne pas le faire.
   « - T'en portes-tu garant ?
      - Oui. Elle n'est pas à pour chercher des ennuis. Juste des réponses. »
De nouveaux, le chat garda le silence. Me jaugeant cette fois-ci, il y avait dans ses yeux, une interrogation que j'avais du mal à définir. Il savait vraisemblablement des chose que j'ignorais, et qui me concernaient certainement.
   « - Laissez-les monter. Si cela ne lui convient pas, ils ne redescendront pas. »
Les personnes ne bougèrent pourtant pas d'un millimètre, bien décidés à nous empêcher de passer. Alors que le chat dénommé Kud allait reprendre la parole, Brinker, à l'entrée du café, le devança.
   « - Hé, tout le monde, la rouge a survécu aux croisades et à tout ces tarés en armure. Ces deux-là ne seront pas un problème si elle veut écourter la rencontre. »
      Jocelin avança lentement vers la porte au fond de la salle sans quitter des yeux ceux qui étaient face à lui. Il y eut des défis qui s'étaient lancés. Chacun cherchant à provoquer l'autre pour le faire attaquer en premier. Mais, en forçant légèrement le passage, le gothique passa, et je le suivi, sous les regards appuyés des usagers du café.

2 commentaires:

Atsumimag a dit…

bah à force tu connais le refrain!

sinon je suis curieuse de savoir quel genre de relation peut bien avoir jocelin avec marianne.

elle peut pas être sa mère, sinon il serait une créature lui aussi et non une âme brisée

elle peut pas être le démon qui la changé en ame brisée sinon il serait déjà mort je pense...

sinon je ne voit qu'une option, des amants...

Unknown a dit…

Haaaa.... si c'était si simple...