Ne sachant pas vraiment ce que je
pouvais faire de plus, je mis les peluches dans un coin du salon, à coté du
grand écran de la télé. Je me réinstallais devant l'écran, et machinalement,
je jetais de fréquents regards à la
fratrie colorée. L'émission terminée, je me changeais pour aller me coucher
mais, je me figeais soudain. Lors de mon dernier regard à mes invités à
fourrure, j'étais persuadée d'avoir vu les ours les yeux grands ouverts.
Lentement, je retournais la tête vers ces jouets anodins. Un pas après l'autre,
je m'approchais d'eux, pour finalement constater que j'avais rêvé : les
ours, adossé à un mur, étaient tout ce qu'il y avait de plus normaux.
Je finis de me changer en me disant que
la fatigue était la responsable, et que je ferais mieux d'aller me coucher. En
moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, j'étais couchée et je cherchais le
réconfort dans les bras de Morphée.
J'aurais dû regarder dehors, sur le
balcon avant d'aller m'allonger. J'y aurais alors remarqué cette grosse
gargouille assise au milieu de mon balcon, ainsi que ce mauvais regard qu'elle
lançait. J'ai toujours trouvé les films d'horreurs profondément décevants, en
particulier parce qu'à la fin, les enchaînements sont tellement prévisibles que
je ne suis pas déçue. Par voie de causes à effets, je finis par définir les
personnages de ces fictions comme des imbéciles patentés, d'autant que celui
qui est intelligent meurt dans d'atroces souffrances dés le début. Mais
confronté à la réalité, il faut bien l'avouer, on ne fait pas toujours
attention à tout, désolée.
Je n'eus l'impression que de n'avoir
fait que fermer les yeux. Avant que la vitre de ma baie vitrée ne vole en
éclats avec l'entrée de statue qui avait pris vie. Assise dans mon lit, cachée
derrière la couette, je hurlais de terreur. Je l'avais vu, juste devant le
futon, sa peau avait changé de consistance mais pas de couleur, ses yeux
étaient rouges.
Elle hurla un son extrêmement strident
par-dessus mes cris, puis, d'un bond, elle se rua sur la place que j'occupais
sur le futon. Mais le lit japonais glissa de son emplacement... et elle se
retrouva à la place de ma précédente conquête masculine après avoir tapé le mur
de la tête.
Je hurlais de plus belle tandis qu’elle
se reprenait pour m’attaquer de nouveau. Elle frappa, et par automatisme, je
levais les bras pour me protéger. Je sentis la chair de mon bras gauche
s’ouvrir sous ses griffes et je hurlais de plus belle tandis que je tombais à
la renverse. Du coin de l’œil, je vis une masse grise se jeter sur la
gargouille. Un combat s’engagea entre plusieurs protagonistes que j’eus du mal
à identifier. Je me précipitais hors de la pièce, laissant ces choses se battre
entre-elles dans ma chambre.
J’attrapais mon téléphone portable
tandis que je m’enfermais dans ma salle de bain. A la lumière du plafonnier, je
vis mon bras en sang. Je le passais sous l’eau, et composais le numéro de
téléphone des urgences et mis le blackberry sur haut-parleur.
Pas de réseau.
Je m’en rendis compte en me bandant le
bras après avoir pris la trousse de premiers secours dans la pharmacie. Hors de
la pièce d’eau, j’entendais le combat entre la gargouille et cette chose.
Complètement stressée, je me battais avec mon portable cherchant du réseau dans
la salle d’eau tandis que mon appartement était mis sans dessus-dessous par ces
monstres.
Au bout de mon quinzième essai
infructueux, je me figeais. Les bruits, derrière la porte, avaient cessés.
Je recentrais mon esprit sur le petit
blackberry noir. Mais au bout de nombreuses autres tentatives infructueuses, et
toujours sans informations provenant du reste de l’appartement, je me décidais
à ouvrir la porte.
Lentement, doucement, et sans bruits,
je fis tourner le verrou de la porte. Ma respiration s’était stoppée tant ma
terreur était grande. J’entrouvris la porte avec une extrême prudence. Au fur
et à mesure que la lumière de la salle de bain s’étalait sur mon appartement je
constatais les dégâts liés à ce qui s’était déroulé. Des cloisons de plâtre
étaient couchées par terre laissant visible ce qui restait de la chambre. Le
futon était déchiré et vertical là où se trouvait mon dressing. Les benzaitens
avaient perdu leurs sourires, et étaient tombés au sol en accordéons. La baie
vitrée était manquante elle aussi. Et le petit vent de la nuit, frais, entrait
dans l’appartement. Machinalement, ma main droite chercha l’interrupteur du
couloir. A ma pression, l’ampoule éclata en une gerbe d’étincelles qui
m’éblouirent.
Lorsque je rouvris les yeux, je vis les
yeux de la gargouille derrière le futon. Elle s’était cachée dans mon dressing.
Je fus totalement pétrifiée, comme une biche sous les phares d’une voiture
arrivant trop vite. Lentement, je la vis écarter le futon en sortant du grand
placard, puis se diriger vers moi. Je reculais à petit pas, totalement tétanisée
par ce que je voyais. A moins de trois mètres de moi, je la vis se lécher les
babines, savourant déjà le festin. Je voyais la mort, dans toute son horreur.
Ce que j’avais devant moi n’avait rien en commun avec les effets spéciaux
filmographiques : c’était réel.
Quelqu’un siffla.
Le monstre tourna la tête vers la
droite pour en identifier l’origine, et prit en pleine face un four à
micro-ondes doré. Sous le choc, il s’écroula de l’autre côté avec fracas. Ce
sauvetage inespéré me sorti de la pétrification dans laquelle j’étais entrée.
J’ignorais totalement qui se trouvait à ma droite, mais je me précipitais vers
lui, ayant compris qu’il affrontait cette chose.
Les peluches.
Je ne voyais que deux oursons,
accompagnés de l’armée de petites qui étaient sorties du sac. Le premier, vert,
portait des couteaux, un dans chacune des pattes. Le second, le rose, faisait
tourner le cœur au bout d’un câble comme une bolas. Je les dépassais en
m’interrogeant encore sur le comment une telle chose était possible.
Ils m’ignorèrent, fixés sur la
gargouille, tandis que la minuscule armée se lançait à l’attaque de l’énorme
créature comme des lilliputiens à l’assaut de Gulliver. Le monstre se mit à les
écraser au sol, sans aucuns effets : les peluches se relevaient et se
lançaient à l’assaut de nouveau. Il changea de stratégie et les propulsa contre
les murs restant de l’appartement. Ce fut à ce moment que les deux ours
attaquèrent eux aussi la créature de pierre. Ils furent rapidement repoussés,
mais retournèrent à l’assaut immédiatement après. Le jet d’eau provenant de la
salle de bain m’informa de la position de la troisième peluche. Il trempait la
gargouille à l’aide de la pomme de douche. Le monstre de pierre se jeta sur
lui, dans ma salle de bain. J’entendis les faïences se briser sous les coups,
tandis que l’eau commençait à inonder l’appartement. L’ours vert attaqua de nouveau, le rose lança le cœur qui alla s’accrocher au
plafonnier. En s’arc-boutant sur l’encadrement de la porte, le petit ours
décrocha la lampe de sa chainette, et l’ampoule, toujours liée au circuit
électrique alla se briser sur le crâne de la créature de pierre. Avec le
plafonnier en chapeau-chinois sur le dessus de la tête, la gargouille fut
électrocutée.
Sous l’action du court-circuit, les
plombs sautèrent. Nous laissant tous dans les ténèbres. Je ne sais pas combien
de temps je suis resté debout, cachée, mais mon bras commença à me faire mal.
Le silence, après les bruits de ce combat totalement impensable, était aussi
pesant que ce qu’il s’était passé. On parle souvent de ces moments de calme après les combats, j’en compris tout le sens ce jour-là. car un silence pesant se fit sentir. Lorsque la lumière se ralluma enfin, ce
ne fut pas de mon fait, mais je surpris deux ours, l’un au-dessus de l’autre
pour atteindre le coffret contenant le disjoncteur.
Quelqu’un frappa à la porte.
J’ouvris la porte avec difficultés,
mais le visage de mon voisin, en pyjama me rassura.
« - Est-ce que tout va bien ?
J’ai entendu des bruits.
- Appelez la police, murmurais-je.
- Mon dieu ! S’exclama-t-il en voyant mon appartement ravagé. Venez
chez moi, on va s’occuper de vous. »
Du coin de l’œil, je vis les peluches,
qui, quelques instants plus tôt avaient livré un combat titanesque, totalement
amorphes. Comme si elles avaient repris leurs fonctions premières.
Les pompiers et la police arrivèrent
quelques instants plus tard avec les gyrophares et les deux-tons. La police
prit ma déposition, et, pour la première fois de ma vie, je mentis.
Sincèrement, si je leur avais dit qu’une énorme gargouille avait affronté les
bisounours dans ma chambre et que le combat s’était fini dans la salle de bain,
je doute qu’ils m’auraient cru… Pour m’éviter l’asile psychiatrique, je dis
simplement que j'ignorais ce qui s’était passé. L’enquête démontrera probablement
que c’était une fuite de gaz…
A l’hôpital, le médecin me rassura sur
ma blessure au bras. Selon lui, elle était peu profonde mais très longue. Plus
qu’une coupure, c’était une déchirure, je garderais une cicatrice à vie. Il
m’avoua qu’il n’avait jamais eu à recoudre une blessure aussi moche. Mais je ne
l’écoutais que d’une oreille distraite, mes pensées encombrées du combat de la
nuit dernière. J’en vins à la conclusion qu’une seule personne pouvait me
renseigner sur le sujet : le vieil homme.
Je finis ma nuit à l’hôpital, et,
rassuré sur mon état de santé, je fus dispensée de soins complémentaires au
sein de l’établissement. Je rentrais donc chez moi, pour trouver l’appartement
complètement détruit. Sans aucunes surprises, les peluches avaient disparues,
tout comme la gargouille, dont le corps aurait dû être dans la salle de bain.
Rien.
Il ne restait aucunes traces des
responsables des dégâts dans mon appartement. Je n’avais personne dans mon
entourage à qui confier ce qui s’était réellement passé cette nuit-là sans
passer pour une folle. D’après les voisins, un expert de mon assurance était
passé dans la matinée pour évaluer les dégâts et leurs causes.
Je m’assis sur mon divan, à cet instant
précis, tout me paru bien futile. Mon travail, mon appartement, l’assurance,…
Rien ne changeait le fait que ce qui s’était passé ici allait se reproduire.
Tant que je ne saurais pas de quoi il retournait, je ne pourrais pas avoir la
paix ni même démontrer ce qui m’arrivait.
On frappa à la porte.
Avec un soupir, je me suis levée et
j’ai ouvert sans aucunes précautions. Je saturais. Réellement. Aussi, je fus à
peine surprise en voyant le gothique derrière ma porte.
« - Salut, ça va ? »
Je ne répondit rien, mais je le vis
regarder par-dessus mon épaule, et murmurer : « Tiens, il s’est
encore déchaîné… » Je voulais des explications. Et j’étais persuadée que
ce jeune homme pouvait me les fournir. Je m’écartais donc pour le laisser
rentrer. Sans aucune gêne, il commença à se déplacer vers la zone de combat. Il
pénétra dans la salle de bain, vit le mur de ma chambre manquant, ainsi que mon
futon complètement détruit.
De mon coté, je m'étais mise à la confection d'un café tout en surveillant mon invité du coin de l'oeil.