mercredi 30 mai 2012

03 - Le visiteur

         Ne sachant pas vraiment ce que je pouvais faire de plus, je mis les peluches dans un coin du salon, à coté du grand écran de la télé. Je me réinstallais devant l'écran, et machinalement, je  jetais de fréquents regards à la fratrie colorée. L'émission terminée, je me changeais pour aller me coucher mais, je me figeais soudain. Lors de mon dernier regard à mes invités à fourrure, j'étais persuadée d'avoir vu les ours les yeux grands ouverts. Lentement, je retournais la tête vers ces jouets anodins. Un pas après l'autre, je m'approchais d'eux, pour finalement constater que j'avais rêvé : les ours, adossé à un mur, étaient tout ce qu'il y avait de plus normaux.
         Je finis de me changer en me disant que la fatigue était la responsable, et que je ferais mieux d'aller me coucher. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, j'étais couchée et je cherchais le réconfort dans les bras de Morphée.
         J'aurais dû regarder dehors, sur le balcon avant d'aller m'allonger. J'y aurais alors remarqué cette grosse gargouille assise au milieu de mon balcon, ainsi que ce mauvais regard qu'elle lançait. J'ai toujours trouvé les films d'horreurs profondément décevants, en particulier parce qu'à la fin, les enchaînements sont tellement prévisibles que je ne suis pas déçue. Par voie de causes à effets, je finis par définir les personnages de ces fictions comme des imbéciles patentés, d'autant que celui qui est intelligent meurt dans d'atroces souffrances dés le début. Mais confronté à la réalité, il faut bien l'avouer, on ne fait pas toujours attention à tout, désolée.
         Je n'eus l'impression que de n'avoir fait que fermer les yeux. Avant que la vitre de ma baie vitrée ne vole en éclats avec l'entrée de statue qui avait pris vie. Assise dans mon lit, cachée derrière la couette, je hurlais de terreur. Je l'avais vu, juste devant le futon, sa peau avait changé de consistance mais pas de couleur, ses yeux étaient rouges.
         Elle hurla un son extrêmement strident par-dessus mes cris, puis, d'un bond, elle se rua sur la place que j'occupais sur le futon. Mais le lit japonais glissa de son emplacement... et elle se retrouva à la place de ma précédente conquête masculine après avoir tapé le mur de la tête.
         Je hurlais de plus belle tandis qu’elle se reprenait pour m’attaquer de nouveau. Elle frappa, et par automatisme, je levais les bras pour me protéger. Je sentis la chair de mon bras gauche s’ouvrir sous ses griffes et je hurlais de plus belle tandis que je tombais à la renverse. Du coin de l’œil, je vis une masse grise se jeter sur la gargouille. Un combat s’engagea entre plusieurs protagonistes que j’eus du mal à identifier. Je me précipitais hors de la pièce, laissant ces choses se battre entre-elles dans ma chambre.
         J’attrapais mon téléphone portable tandis que je m’enfermais dans ma salle de bain. A la lumière du plafonnier, je vis mon bras en sang. Je le passais sous l’eau, et composais le numéro de téléphone des urgences et mis le blackberry sur haut-parleur.
         Pas de réseau.
         Je m’en rendis compte en me bandant le bras après avoir pris la trousse de premiers secours dans la pharmacie. Hors de la pièce d’eau, j’entendais le combat entre la gargouille et cette chose. Complètement stressée, je me battais avec mon portable cherchant du réseau dans la salle d’eau tandis que mon appartement était mis sans dessus-dessous par ces monstres.
         Au bout de mon quinzième essai infructueux, je me figeais. Les bruits, derrière la porte, avaient cessés.
         Je recentrais mon esprit sur le petit blackberry noir. Mais au bout de nombreuses autres tentatives infructueuses, et toujours sans informations provenant du reste de l’appartement, je me décidais à ouvrir la porte.
         Lentement, doucement, et sans bruits, je fis tourner le verrou de la porte. Ma respiration s’était stoppée tant ma terreur était grande. J’entrouvris la porte avec une extrême prudence. Au fur et à mesure que la lumière de la salle de bain s’étalait sur mon appartement je constatais les dégâts liés à ce qui s’était déroulé. Des cloisons de plâtre étaient couchées par terre laissant visible ce qui restait de la chambre. Le futon était déchiré et vertical là où se trouvait mon dressing. Les benzaitens avaient perdu leurs sourires, et étaient tombés au sol en accordéons. La baie vitrée était manquante elle aussi. Et le petit vent de la nuit, frais, entrait dans l’appartement. Machinalement, ma main droite chercha l’interrupteur du couloir. A ma pression, l’ampoule éclata en une gerbe d’étincelles qui m’éblouirent.
         Lorsque je rouvris les yeux, je vis les yeux de la gargouille derrière le futon. Elle s’était cachée dans mon dressing. Je fus totalement pétrifiée, comme une biche sous les phares d’une voiture arrivant trop vite. Lentement, je la vis écarter le futon en sortant du grand placard, puis se diriger vers moi. Je reculais à petit pas, totalement tétanisée par ce que je voyais. A moins de trois mètres de moi, je la vis se lécher les babines, savourant déjà le festin. Je voyais la mort, dans toute son horreur. Ce que j’avais devant moi n’avait rien en commun avec les effets spéciaux filmographiques : c’était réel.
         Quelqu’un siffla.
         Le monstre tourna la tête vers la droite pour en identifier l’origine, et prit en pleine face un four à micro-ondes doré. Sous le choc, il s’écroula de l’autre côté avec fracas. Ce sauvetage inespéré me sorti de la pétrification dans laquelle j’étais entrée. J’ignorais totalement qui se trouvait à ma droite, mais je me précipitais vers lui, ayant compris qu’il affrontait cette chose.
         Les peluches.
         Je ne voyais que deux oursons, accompagnés de l’armée de petites qui étaient sorties du sac. Le premier, vert, portait des couteaux, un dans chacune des pattes. Le second, le rose, faisait tourner le cœur au bout d’un câble comme une bolas. Je les dépassais en m’interrogeant encore sur le comment une telle chose était possible.
         Ils m’ignorèrent, fixés sur la gargouille, tandis que la minuscule armée se lançait à l’attaque de l’énorme créature comme des lilliputiens à l’assaut de Gulliver. Le monstre se mit à les écraser au sol, sans aucuns effets : les peluches se relevaient et se lançaient à l’assaut de nouveau. Il changea de stratégie et les propulsa contre les murs restant de l’appartement. Ce fut à ce moment que les deux ours attaquèrent eux aussi la créature de pierre. Ils furent rapidement repoussés, mais retournèrent à l’assaut immédiatement après. Le jet d’eau provenant de la salle de bain m’informa de la position de la troisième peluche. Il trempait la gargouille à l’aide de la pomme de douche. Le monstre de pierre se jeta sur lui, dans ma salle de bain. J’entendis les faïences se briser sous les coups, tandis que l’eau commençait à inonder l’appartement. L’ours vert attaqua de nouveau, le rose lança le cœur qui alla s’accrocher au plafonnier. En s’arc-boutant sur l’encadrement de la porte, le petit ours décrocha la lampe de sa chainette, et l’ampoule, toujours liée au circuit électrique alla se briser sur le crâne de la créature de pierre. Avec le plafonnier en chapeau-chinois sur le dessus de la tête, la gargouille fut électrocutée.
         Sous l’action du court-circuit, les plombs sautèrent. Nous laissant tous dans les ténèbres. Je ne sais pas combien de temps je suis resté debout, cachée, mais mon bras commença à me faire mal. Le silence, après les bruits de ce combat totalement impensable, était aussi pesant que ce qu’il s’était passé. On parle souvent de ces moments de calme après les combats, j’en compris tout le sens ce jour-là. car un silence pesant se fit sentir. Lorsque la lumière se ralluma enfin, ce ne fut pas de mon fait, mais je surpris deux ours, l’un au-dessus de l’autre pour atteindre le coffret contenant le disjoncteur.
         Quelqu’un frappa à la porte.
         J’ouvris la porte avec difficultés, mais le visage de mon voisin, en pyjama me rassura.
         « - Est-ce que tout va bien ? J’ai entendu des bruits.
            - Appelez la police, murmurais-je.
            - Mon dieu ! S’exclama-t-il en voyant mon appartement ravagé. Venez chez moi, on va s’occuper de vous. »
         Du coin de l’œil, je vis les peluches, qui, quelques instants plus tôt avaient livré un combat titanesque, totalement amorphes. Comme si elles avaient repris leurs fonctions premières.
         Les pompiers et la police arrivèrent quelques instants plus tard avec les gyrophares et les deux-tons. La police prit ma déposition, et, pour la première fois de ma vie, je mentis. Sincèrement, si je leur avais dit qu’une énorme gargouille avait affronté les bisounours dans ma chambre et que le combat s’était fini dans la salle de bain, je doute qu’ils m’auraient cru… Pour m’éviter l’asile psychiatrique, je dis simplement que j'ignorais ce qui s’était passé. L’enquête démontrera probablement que c’était une fuite de gaz…
         A l’hôpital, le médecin me rassura sur ma blessure au bras. Selon lui, elle était peu profonde mais très longue. Plus qu’une coupure, c’était une déchirure, je garderais une cicatrice à vie. Il m’avoua qu’il n’avait jamais eu à recoudre une blessure aussi moche. Mais je ne l’écoutais que d’une oreille distraite, mes pensées encombrées du combat de la nuit dernière. J’en vins à la conclusion qu’une seule personne pouvait me renseigner sur le sujet : le vieil homme.
         Je finis ma nuit à l’hôpital, et, rassuré sur mon état de santé, je fus dispensée de soins complémentaires au sein de l’établissement. Je rentrais donc chez moi, pour trouver l’appartement complètement détruit. Sans aucunes surprises, les peluches avaient disparues, tout comme la gargouille, dont le corps aurait dû être dans la salle de bain.
         Rien.
         Il ne restait aucunes traces des responsables des dégâts dans mon appartement. Je n’avais personne dans mon entourage à qui confier ce qui s’était réellement passé cette nuit-là sans passer pour une folle. D’après les voisins, un expert de mon assurance était passé dans la matinée pour évaluer les dégâts et leurs causes.
         Je m’assis sur mon divan, à cet instant précis, tout me paru bien futile. Mon travail, mon appartement, l’assurance,… Rien ne changeait le fait que ce qui s’était passé ici allait se reproduire. Tant que je ne saurais pas de quoi il retournait, je ne pourrais pas avoir la paix ni même démontrer ce qui m’arrivait.
         On frappa à la porte.
         Avec un soupir, je me suis levée et j’ai ouvert sans aucunes précautions. Je saturais. Réellement. Aussi, je fus à peine surprise en voyant le gothique derrière ma porte.
         « - Salut, ça va ? »
         Je ne répondit rien, mais je le vis regarder par-dessus mon épaule, et murmurer : « Tiens, il s’est encore déchaîné… » Je voulais des explications. Et j’étais persuadée que ce jeune homme pouvait me les fournir. Je m’écartais donc pour le laisser rentrer. Sans aucune gêne, il commença à se déplacer vers la zone de combat. Il pénétra dans la salle de bain, vit le mur de ma chambre manquant, ainsi que mon futon complètement détruit.
          De mon coté, je m'étais mise à la confection d'un café tout en surveillant mon invité du coin de l'oeil.

2 commentaires:

Atsumimag a dit…

une SUITE!!!!

Unknown a dit…

C'est en cours... c'est en cours... ^^