mardi 29 mai 2012

02 - La colocation du cimetière

     Je repris lentement connaissance, j'étais allongée dans un canapé en cuir, un coussin derrière la tête. Les propos d'une discussion, déformés par mon état second me parvenaient aux oreilles. Il semblait qu'il était question de ma présence, je ne me souviens plus vraiment. En plus, le mal de tête que j'avais ne me permettait pas de réfléchir correctement.
« - Fermez-la, elle reprends connaissance. Fit la voix d'une jeune fille devant moi. Comment allez-vous ?
- J'ai mal à la tête... grognais-je sans ouvrir les yeux.
- C'est un effet secondaire de ce qui vous est arrivé. Je vais vous chercher quelque chose. En attendant, ne bougez pas trop : vos articulations sont douloureuses. »
Comme pour valider ses paroles, et la douleur courra sur tout mon corps. M'arrachant une grimace. J'entendis des pas, les deux protagonistes de la petite discussion firent le tour du canapé et se tinrent devant moi. J'ouvris difficilement les yeux, pour voir, face à moi, deux hommes. Le premier approchait la soixantaine d'années, et se déplaçait avec une canne. Je ne vit pas bien son visage ou ses vêtements. Mais ses cheveux et les quelques rides lui donnait un aspect ancien. Le second était le gothique, il avait changé de vêtements et portait désormais un ensemble tee-shirt-jean-basket.
« - Hé bien, quelle nuit n'est-ce pas ? » M'interrogea le vieil homme.
     Mon esprit se remettait lentement en place. Avec une grande frayeur je me rappelais la violence de la précédente nuit. Ma première idée fut d'appeler la police. Mais j'ignorais totalement qui j'avais en face de moi. Etaient-ils amis ou ennemis ?
« - Qui êtes-vous ? Demandais-je, sur mes gardes.
    Le vieil homme, ennuyé, se retourna et alla s'asseoir sur un fauteuil en face de moi. Je vis alors son visage chauve et décharné qui me regardait à travers des lunettes rondes. Le gothique se contenta de croiser les bras en me regardant sans aucune expression.
« - Nous sommes... comment dire... des gens qui ont été blessés. Tout comme vous hier.
- Alors je vais appeler la police pour signaler l'agression. Vous pourrez témoigner. Me mis-je à espérer.
- Non. Vous n'avez pas de traces, pas de mobile, pas d'agresseur. Comment voulez-vous demander justice. Qui plus est, la justice des hommes est incompétente dans ce cas de figure précis. »
Tandis qu'il parlait, je soulevais le tee-shirt. En dehors de la douleur sur mon ventre, à mes articulations et dans ma tête, il n'y avait aucune traces de mon agression de la veille.
« - Avant que vous ne décidiez de partir ou non, j'aimerais que vous m'écoutiez totalement. Ensuite,... eh bien.. vous ferez votre choix. »
     Je me mit à étudier le vieil homme de la tête au pieds. Il portait un pantalon en velours brun, et une chemise blanche sur un tee-shirt de la même couleur. A ses pieds, une paire de chaussettes couleur crème dépassait de sandalettes en cuir. Entre ses mains, une canne en bois noueux lui servait à reposer ses mains. Mon esprit s'éclaircit un peu mieux et j'identifiais ce qui m'entourais avec un regard interrogatif. J'étais dans une maison qui paraissait ancienne au regard du mobilier et du papier peint aux murs. Le mobilier était en bois brut, travaillé et sculpté comme seuls des maîtres artisans expérimentés savent le faire. Ils étaient propres, vernis, et cirés, mais un œil attentif distinguait les ravages du temps et les différents accidents qu'ils avaient pu subir. Le mobilier de salon, notamment celui dans lequel j'étais allongée, ne dérogeait pas à la règle, et le mélange de cuir et de bois rendait l'ensemble aussi beau à regarder que confortable. Les murs étaient recouverts d'un papier peint vert avec d'immenses fleurs roses. Mais l'ensemble était terne et délavé. Le papier avait mal vieilli, ou alors il avait trop vieilli, je n'aurais pu le dire.
« - Tenez, c'est du paracétamol. Me dit une jeune fille en obstruant mon domaine de visibilité. Ca ne fera pas disparaître le mal de tête tout de suite, mais ça aura le mérite de faire baisser l'intensité de la douleur. »
     Je bu le verre d'eau trouble qui continuait à faire un bruit de fuite de gaz d'un seul trait. Je n'ai jamais aimé le goût. Je ne l'aime toujours pas. Aussi, l'ingestion d'un tel breuvage m'arracha une moue de dégout avant que je me mette à observer mon interlocutrice. Elle était asiatique, et habillée tout en fluo, comme un personnage de ces dessin animés japonais : une robe rose bonbon, une veste en plastique oscillant entre le jaune et le vert, et des bas noirs. Elle ne portait pas de chaussures. Son visage fin et juvénile contrastait fortement avec la sévérité qu'elle avait dans le regard. Ses cheveux était long et coiffés en pagaille.
« - Je sais que c'est pas bon, mais ça a le mérite d'être efficace. » Dit-elle en reprenant le verre et en repartant derrière le canapé. Ne me laissant pas le temps de la remercier. Dans le mouvement, elle découvrit une grande bibliothèque dans le style du reste du mobilier de la pièce. Elle était couverte de bibelots et de livres en tout genres.
« - Madame ? Puis-je avoir toute votre attention ? demanda le vieil homme après s'être éclairci la gorge.
- Mademoiselle. M'empressais-je de corriger devant le grand-père souriant.
- Mademoiselle. Veuillez m'excuser, je manque à mes devoirs. Ce que j'ai à vous annoncer sera plutôt difficile à croire, mais c'est pure vérité. Hier, vous avez fait une mauvaise rencontre...
- Plutôt deux fois qu'une ! je vais aller à la police dés que je sors d'ici...
- C'était un démon. »
L'information avait du mal à arriver à mon cerveau. Je n'y cru pas. Mais alors pas du tout. Pour quelqu'un réaliste et athée comme moi, croire à ce genre de chose relevait de la superstition dans le meilleur des cas, du grotesque dans le pire. Aussi, ma réponse fut-t-elle dans le même genre :
« - Bien sûr.
- Je suis content que vous le preniez comme ça.
- Elle se fout de nous, murmura le gothique pour expliquer ma réponse au vieil homme.
- Ha. » Fut la seule réponse qu'il put articuler en prenant conscience que je me moquais de lui. Il garda le silence tandis que je me redressais. J'avais un tel mal à la tête que je cru que mon cerveau était resté dans ma position allongée. Je me retournais pour voir un coin cuisine dans le fond de la pièce. L'asiatique s'était stoppée, et me regardais fixement. Lorsqu'elle parla avec colère, je remarquais son accent, chose que je n'avais pas remarqué jusqu'alors.
« - Moi aussi j'aimerais bien que ce ne soit que des foutaises. Mais vous faites et pensez ce que vous voulez : la réalité ne changera pas pour autant. Les Oni existent, et je te garanti qu'ils ont faim.
- Du calme Asami, intervint le vieil homme. Nous ne pouvons reprocher à notre invitée d'avoir du mal à nous croire.
- Tu l'as vu pourtant, disparaître en poussières.
- Je ne suis sûre de rien. Je veux aller porter plainte à la police.
- Jocelin, peux-tu appeler un taxi pour mademoiselle je te prie ? Mademoiselle, j'aimerais vraiment que vous restiez, ne serait-ce que pour écouter ce que j'ai à vous dire.
- Ca ne m'intéresse pas, vous êtes certainement un groupe d'escrocs ou un genre de secte. Laissez-moi tranquille !, dis-je en me levant.
- La sortie c'est par là. Y'a une station de bus au bout de la rue. » M'informa la jeune femme qui répondait au nom d'Asami.
     Ni une ni deux, je me précipitais d'un pas décidé hors de la maison. Dans le couloir qui menait à la porte, le gothique répondant au nom de Jocelin me tendit mon sac à main tandis qu'il annulait la réservation pour le taxi au téléphone. Je crois que ce fut la réservation la plus courte ayant jamais été enregistrée. Je sorti, et me retrouvais à dans la rue à coté du cimetière. D'un pas décidé, je me dirigeais vers l'arrêt de bus le plus proche. Après une vérification sur le panneau d'affichage, je m'assurais que le prochain bus ne passerais pas dans trop longtemps avant d'appeler ma chef. Avec une chance inouïe, elle comprit ce qui m'était arrivé, et m'autorisa à arriver plus tard dans la journée pour pouvoir aller déposer ma plainte. Ce soutient me conforta dans ma démarche logique et moderne de réparation du crime commis.
     Cela me prit toute la matinée, et, à ma sortie du bureau de police, malgré le papier que je tenais entre les mains ; qui prouvait que j'avais déposé plainte, j'avais la certitude que je n'avais pas été crue. Plus d'une fois, on me conseilla de retirer la plainte. Premièrement, le garage avait ouvert normalement et il n'y avait rien eu de signalé concernant une effraction ou des dégats. Ensuite, parce que je n'avais aucune trace du coup que j'avais pris. Pour finir, même si je retrouvais le coupable, ce serait sa parole contre la mienne, sans preuves, c'était perdu d'avance. Ce fut devant mon insistance répétée qu'il finirent par prendre la plainte.
Dés ma sortie, j'appelais ma chef pour lui signaler que je prenais ma journée, mes péripéties nécessitaient que je reprenne mon calme et mes esprits dans un endroits sécurisé : chez moi.
    A mon retour dans mon appartement, je pris une douche. Je sentais la sueur et le stress, j'en avais bien besoin. J'en profitais pour remettre toutes mes idées dans l'ordre nécessaire à la compréhension. Ces réflexions m'emmenèrent jusqu'à la dégustation d'une tisane devant la télé en peignoir. Je ne me rappelle plus ce qu'il y avait eut ce soir là comme film ou comme série. Mais je sais que je me repassais en boucle cette agression traumatisante dans mon esprit. Je tentais d'en comprendre tout les tenants en aboutissant, et je me maudissais que, dans ma panique, j'ai refusé les informations de la seule personne qui semblait savoir de quoi elle parlait : le vieil homme.
     Un vieil homme qui était resté gentil, poli, et extrêmement courtois alors que je m'étais conduite comme une horrible adolescente gâtée... ou encore sous le choc de ce qui m'étais arrivé. Je préférais me dire que c'était la seconde solution.
     Quelqu'un sonna à la porte de mon appartement. Je posais ma tasse de thé sur la table basse en verre de mon salon et pris la direction de l'entrée en m'interrogeant sur la personne qui pouvait se trouver derrière. J'ouvris le judas et regardais au travers, pour constater l'absence de qui que soit. Après la nuit précédente, je me mis immédiatement sur mes garde en interrogeant mon possible interlocuteur de l'autre coté de la planche de bois. Mais je n'eus aucune réponse. Je me précipitais à la cuisine et me procurais le couteau le plus long que je possédais avant de revenir près de la porte d'entrée. J'attendis, mais il n'y avait aucun bruit. De nouveau, je demandais à mon interlocuteur de se présenter. Mais il n'y eut toujours aucune réponse. Je mis la petite chaine qui permettait d'entrouvrir la porte avec une terreur non dissimulée avant de retirer les verrous. Par l'entrebâillement de la porte, je constatais l'absence de tout danger visible. La lumière du couloir était allumée, et je n'eus aucun mal à les voir : trois grosses peluches étaient assises devant la porte en arc de cercle. Je fermais la porte en la claquant, je ne comprenais absolument pas ce qui se passait, mais ce n'était pas normal. Je pris mon courage à deux mains avant de retirer doucement la chaînette de la porte. J'ouvris la porte d'un grand coup sec avant de me jeter dans le couloir, le couteau devant moi.
     Personne.
     Le couloir était vide. Seules étaient présentes les trois peluches. Je les regardais sans trop savoir quoi faire... Les filles de mes voisins jouaient parfois dans le couloir, je me dit que cela leur appartenait peut-être. Mais, au vu de l'heure, il aurait mal prit que je les dérange à une heure aussi tardive pour quelque chose d'aussi futile.
     Je pris les peluches avec moi et les installais sur le plan de travail de la cuisine pour mieux les observer. Elles étaient toutes du même modèle : un gros ours souriant de quatre-vingt centimètres de haut. Le premier était vert fluo, avec des lunettes de soleil en plastique, le second, rose, et tenait un petit cœur rouge brodé « je t'aime » dans une main, et le dernier, bleu clair avec un sac à dos violet. Sans trop savoir quoi en faire en attendant le lendemain matin, je m'assis face à ces trois jouets enfantins qui avaient pour autre point commun leurs ventres et le bout de leurs pattes blanches.
     Perdue dans mes pensées, je m'aperçus que j'avais laissé la tasse de thé dans le salon. Lorsque je revins, les trois ours étaient tombés du plan de travail. Je les y remis avant de reprendre mes réflexions. Pendant un moment, je fus persuadée qu'ils m'observaient. Mais je me convaincs finalement qu'il ne s'agissait là que de mon imagination. Soudain, je me mis à imaginer que ces trois peluches souriantes n'appartenaient pas aux filles du voisin : celui qui avait sonné à ma porte avait dû espéré que je les fassent entrer chez moi. L'esprit s'emballe facilement dans ce genre de situation : De la bombe à la caméra en passant par des micros, je me mis à tout imaginer. Je les fouillais, cherchant un possible système caché dans leurs corps de coton. Mais il n'y avait rien, même le sac n'était rempli que d'autres peluches plus petites.

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