jeudi 28 juin 2012

11 - L'enquête oubliée

         Les deux jours qui suivirent furent calmes. Je ne vis aucun démon, ni phénomène étrange d’aucune sorte. Mais dans des situations fantastiques, on oublie rapidement le réel. Aussi, je n’imaginais pas que le monde autour de notre petit groupe continuait de tourner. J’étais en train de finir un rendez-vous avec un client qui tentait de faire tourner son entreprise avec difficulté. Je finis notre conversation en le ramenant vers la sortie, puis retournait dans la salle d’attente.
         « - Mme… Bounakour ?
            - Attends Lena, me dit Marine derrière moi, il y a eu une modification de ton emploi du temps pour ces messieurs. L’affaire Bounakour est traité par Yasmina, elle a dit que cela t’arrangerais.
            - Ha ? Et c’est pour quelle affaire ? » Demandais-je en voyant deux hommes se lever dans la salle d’attente pour venir vers moi. Le premier était chauve avec une boucle d’oreille assez discrète, et portait un bombers kaki avec de multiples écussons. Un pantalon en jean et une paire de baskets blanche terminaient le style du personnage. Il était assez jeune, avec des yeux verts qui paraissaient dur et froids. Le second un peu plus vieux, et portait un ensemble en tissus beige, une chemise jaune, et des souliers de cuir marron. Dans ses mains, correctement plié, un manteau de cuir brun. Il était mal rasé, avec des cheveux noirs, hirsutes. Son regard était vide, presque implorant. Malgré cela, ils avaient tous les deux des carrures de déménageurs. Et si celui en costume brun n’avait pas commencé sa phrase de cette manière, je crois que j’aurais tout de suite été cherché le taser.
         « - Police nationale mademoiselle Clanford. C’est au sujet de la plainte que vous avez déposée, concernant votre agression. Et de ce qui s’est passé dans votre appartement. Il y a-t-il un endroit où nous pouvons discuter tranquillement ? » Me demanda-il en me tendant une carte de police.
         Yasmina est une boss vraiment super, mais là, pour le coup, elle ne m’arrangeait vraiment pas : J’avais complètement oublié que j’avais porté plainte pour les deux incidents.
         « - Allons dans mon bureau voulez-vous ?
            - Nous vous suivons mademoiselle. »
         Nous arrivâmes rapidement à la pièce. Et je refermais derrière mes deux invités.
         « - Je vous en prie, installez-vous. Dis-je en rangeant quelques documents qui traînaient sur mon bureau.
            - Merci mademoiselle. Je suis le lieutenant Franck Serain, et voici mon équipier, le lieutenant Amory Marionni. Déclara celui en costume marron tandis qu’ils s’installaient.
            - En quoi puis-je vous aider messieurs ? Demandais-je en les voyants sortir des calepins de leurs poches.
            - Concernant votre agression, vous avez déclaré vous être réveillée dans une maison en colocation proche du cimetière. Est-ce exact ?
            - Oui.
            - Est-ce que c’est là-bas que vous habitez actuellement ?
            - Oui, pourquoi ?
            - Parce que c’est bizarre : vous habitez du jour au lendemain avec des gens que vous ne connaissiez pas la veille.
            - Certains ont déjà été condamnés pour vandalisme, repris le policier au Bombers, ce ne sont pas forcément des gens très fréquentables. Peut-être même ont-ils un lien avec ce qui s’est passé dans votre appartement. Si des choses illégales se déroulent là-bas, il faut nous mettre au courant, c’est la meilleure manière pour nous permettre de vous aider.
            - Il n’y a rien à dire. Ils sont gentils et m’ont proposé de m’héberger.
            - Vraiment ?
            - Mais qu’est-ce que vous croyez ? Que ce sont des escrocs ou des adeptes de la scientologie ? Sincèrement, ce n’est vraiment pas leur genre. »
         Je venais de leur énoncer clairement ce que j’avais soupçonné lors de ma première rencontre avec les habitants de la petite collocation. J’étais devenue une âme brisée moi aussi, et, maintenant que je connaissais la vérité, je pouvais évoquer les pire choses ‘’réalistes’’ tout en sachant qu’au mieux cela les découragerait, au pire, je suggérais une fausse piste. Oui, je sais, ce n’est pas bien de mentir à la police, surtout quand elle cherche à aider. Mais je n’avais pas le choix ; comme avec les peluches qui avaient complètement ravagé mon appartement, la réalité était beaucoup trop invraisemblable.
         « - Je ne sais pas trop ce que je dois penser de vos propos Mademoiselle Clanford. Mais je vous suggère vivement de nous dire ce que vous savez sur les habitants de cette maison.
            - Commencez par me dire ce qui s’est passé dans mon appartement.
            - Pour le moment, nous ne savons pas.
            - Quelque chose a explosé dans mon appartement et vous ignorez de quoi il s’agit ?
            - Ne vous inquiétez pas, nous finirons bien par savoir. Renchérit Franck, dans son costume marron tandis que son collègue se levait pour faire quelques pas dans le bureau. Je sais que cela n’a peut-être rien à voir avec vous mais je tente quand même. Connaissez-vous cette personne ? »
         Je pris le portrait photo qu’il me tendait. Dessus, une jeune femme un peu maquillée souriait. Elle était blonde avec des yeux marron clair. Vingt ans tout au plus.
         « - Non, répondis-je, qui est-ce ?
            - Une disparue. Cela fait deux ou jours qu’elle ne donne plus aucun signe de vie… »
         Je n’aurais su le dire clairement, mais, à ce moment précis, je sus qu’Alibaras ou Azraël était derrière cela. Avec une nette préférence pour le premier. Et le destin qui était échu à cette pauvre fille me semblait terrible. Au point que je murmurais le nom du démon tout en retenant les insultes à son égard :
         « - Alibaras…
            - Pardon ? Demanda-t-il en se penchant vers moi.
            - Rien. Comment s’appelle-t-elle ?
            - Emilie Fronster, elle a vingt et un an.
            - Elle a disparue en rentrant de son lycée…poursuivit son collègue en face de mon armoire ouverte, Franck, viens voir ça s’il te plaît. »
         Le lieutenant de police en costume se leva pour rejoindre son collègue, qui lui montra un des classeurs dans le meuble. Il se retourna ensuite vers moi, l’air ennuyé.
         « - Est-ce que vous travaillez pour le cabinet Hoppe ? »
         Je peux vous assurer qu’intérieurement, j’ai maudis et insulté Azraël de tous les noms possibles et imaginables. J’aurais pu écrire en un dictionnaire ! Voir une encyclopédie multi-tomes !
         « - Le responsable m’a demandé de m’occuper des comptes. Pourquoi ?
            - C’est le cabinet qui est responsable de l’échec de la majorité de nos enquêtes, répondit Amory toujours face à l’armoire. La plupart des types que l’on arrive à chopper sont défendus par leurs avocats. Et ils trouvent toujours une faille. Dans le milieu, il est ‘’le’’ cabinet d’avocat qui défend correctement les criminels. Même s’il est excessivement cher, les résultats sont là.
            - Mademoiselle Clanford. Si ces gens en ont après vous, dites-moi où je dois chercher, et je m’occupe du reste. Repris le lieutenant en costume. Ces gens sont extrêmement dangereux, et leurs méthodes envers les femmes ne sont pas différentes de celles utilisées pour les hommes.
            - Je ne m’occupe que de la comptabilité.
            - Bien sûr. Je comprends mademoiselle Clanford. Merci pour toutes ces informations, nous allons vous laisser. Amory, on y va. »
         Je raccompagnais mes deux visiteurs jusqu’à l’entrée du petit bureau. Là, les lieutenants me remercièrent encore une fois, et, que si jamais je me souvenais de quoi que ce soit, je pouvais le joindre au poste de police de Noisy le grand. Les deux me laissèrent une carte avec uniquement le nom et le numéro de téléphone. Je les vis discuter dehors, devant notre petit cabinet avant de longer le trottoir.
         Je n’avais aucune idée de comment cette histoire allait finir. Il y avait eu des précédents avec la Brigade, et Azraël n’avait pas arrangé les choses avec son cabinet d’avocat. Pourtant, tout cela passa comme si de rien n’étais. La photo de la jeune fille était gravée dans ma mémoire. Immédiatement, comme soufflé à mon oreille, une partie de ma discussion d’avec le démon résonna à mes oreilles :

         « - …Dites-moi, est-ce que vous lisez les journaux ?
            - Non. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec moi.
            - Pas grand-chose pour le moment, mais vous devriez vous y intéresser incessamment sous peu…. »

         Je me précipitais sur mon ordinateur et lançais une recherche sur les actualités nationales. Pour le coup, Google fut mon ami. Je trouvais rapidement les pages nécessaires sur la disparition de la jeune femme. Mais elles ne m’apprirent rien de plus que ce que le policier m’avait dit : disparue sans laisser de traces. Un chien policier avait perdu sa trace en plein milieu d’un escalier alors qu’elle rentrait chez elle.
         Qu’est-ce qu’Alibaras ou Azraël pouvaient bien avoir en tête… pour quelle raison cette femme avait-elle été attaquée… N’étais-je pas leur cible après tout ? C’est vrai que c’était triste pour elle, mais, d’un autre côté, j’étais plutôt contente qu’ils me laissent en paix. Pourtant, j’étais persuadée qu’il y avait un lien entre elle et moi. Lequel ? Je n’aurais pas pu le trouver à cette époque.
         J’en vins à la conclusion qu’ils avaient autre chose à faire avant de m’attraper. Et qu’il fallait absolument que je puisse me défendre avant que mes ‘’chasseurs’’ ne s’occupent de moi. Sur le moment, je n’avais que le fouet, et je devais m’entraîner avec. Je commençais par chercher sur internet ce que cela donnait de savoir s’en servir correctement. Ce fut assez impressionnant.
         Mais lorsque je me mis à chercher des cours, je compris que cela allait être plus ardu que prévu. En effet, je ne sais pas si vous avez déjà essayé de trouver ce genre de choses, mais je suis tombé, le plus souvent sur des articles pour soirées sadomasochistes. Finalement, je trouvais un site qui vendait fouet et lassos pour cowboys et fans de madison. Je commandais un fouet en cuir brun aussi long que celui crée par le taser, ainsi que deux modes d’emploi, un pour débutant et l’autre en intermédiaire. Livré dans quarante-huit heures à la colocation.
         Mon achat effectué, je m’interrogeais de nouveau sur ce qui s’était passé ce matin. Il était clair que la police soupçonnait quelque chose, et je m’interrogeais intérieurement sur la meilleure manière de les protéger de la vérité. Comment leur faire comprendre sans leur dire qu’il valait mieux ne pas trop chercher.
         Je ne trouvais aucune solution sur le moment, et fini par me concentrer de nouveau sur mon travail. Comme Alphonse me l’avait dit : « Etre une âme brisée et avoir des pouvoirs ne fait pas bouillir la marmite. »

mardi 26 juin 2012

10 - Un calme relatif

         Je me laissais tomber dans mon lit sur le dos. Cela faisait moins d’une semaine que j’étais une âme-brisée, et j’en avais déjà marre. Je m’interrogeais sur la suite, et notamment sur de possibles sorties dans des clubs de la ville. Mais je rejetais l’idée : qui savait sur qui j’allais tomber ? Un démon pouvait très bien se faire passer pour un homme en quête d’aventures.
         Quelqu’un rompit le silence en frappant à la porte de ma chambre. Je me levais pour ouvrir avec un petit soupir. Jocelin m’attendais derrière.
         « - Viens, y’a Ahmed qui a des choses à te dire.
            - On ne peut pas voir ça demain ? Demandais-je.
        - Tu fais comme tu veux… répondit-il en se dirigeant vers les escaliers.
            - Mais ?
         - Y’a pas de ‘’mais’’ : C’est ta vie. » Entendis-je tandis qu’il les montait pour rejoindre sa chambre.
         Je pris sur moi-même et je montais à sa suite tout en haut du bâtiment. Je n’étais pas encore à l’étage que j’entendis une musique étrange, une cantatrice chantait sur une musique très rythmée. A mon arrivée sur le palier, j’identifiais deux portes, la première, ouverte sur une chambre pleine de couleurs criardes dans un désordre incroyable. De ce que je voyais, des CD et leurs boites étaient négligemment étalés au sol, parmi de multiples vêtements en boule et des feuilles griffonnées de dessins. De cette pièce s’échappait de faibles relents de solvant pour peinture. Enfin, je vis Asami, debout sur une chaise, en face de sa fenêtre. Je n’identifiais qu’après que la jeune asiatique bandait un arc à poulies. La flèche était rouge, brillante, un genre de PVC verni. C’était la première fois que je pouvais la détailler de manière précise. Elle avait le visage fin, les cheveux noirs, et une taille de guêpe. Sur son visage, qui ne montrait pas grand-chose généralement, se lisait une grande concentration. Elle portait des habits de toutes les couleurs : un petit haut noir sur lequel était posé une veste en cuir rouge, une mini-jupe jaune de laquelle dépassaient ses jambes nues. A ses pieds des chaussettes dépareillées verte, et rose, toutes les deux rayées de noir.
         Avec un bruit sec, elle décocha sa flèche par la fenêtre entrouverte.
         « - Asami, est-ce que tout vas bien ? Demandais-je.
            - Ca va mieux. Répondit-elle en regardant par la fenêtre, avant de poser l’arc contre un mur. Tu voulais quelque chose ?
            - Non, je cherchais Jocelin ?
            - En face, dans le boucan.
            - Tu… Tu as tiré par la fenêtre ?
            - Oui, pourquoi ?
            - Sur quoi as-tu tiré ? M’inquiétais-je.
            - Je te trouve bien curieuse… tu ne voudrais pas remplacer ma mère des fois ? »
            - Rassure-moi, tu n’as blessé personne au moins ?
            - Non, juste un mouchard qui faisait mine de se cacher. Rien de grave. Rassure-toi, ça fait longtemps que je suis une âme brisée, et je ne l’ai pas loupé. Jocelin est en face. »
         Je compris que je n’étais pas la bienvenue ici. A l ‘époque, j’ignorais totalement les raisons de cette animosité envers moi. Toujours est-il que je m’étais retournée vers la porte fermée, en face de celle de la chambre de cette jeune asiatique. Après quelques pas, je frappais à la porte de la chambre du jeune homme. Mais, au vu du bruit qui filtrait au travers du panneau de bois je compris qu’il ne pouvait pas m’entendre. Je pris donc sur moi d'entrouvrir cette porte.
         La chambre était tapissée de posters de groupes de métal et d'images d'Héroic-Fantasy. Au milieu, un lit double exactement du même modèle que le mien, mais repeint à la bombe pour lui donner une couleur noire. Sur les étagères, des rayons entiers de CD et des livres de toutes sortes. En haut, accrochées aux montants du toit, les enceintes qui délivraient leur lot de décibels. Jocelin était assis sur son lit, une cigarette dans la bouche et une guitare électrique sur les genoux. Il en jouait, même si elle n'était pas branchée. A ses mouvements de mains, je compris qu'il effectuait les mêmes notes que le guitariste de ce groupe de Hard-Rock.
         Il me vit lorsqu'il releva la tête. Cela le stoppa dans son jeu de mime. Après avoir pointé la télécommande qui était elle aussi posée sur le lit vers un ordinateur que je venais de remarquer, la musique se stoppa.
         « - Tu voulais me voir ?
            - Pas moi. Ahmed. Répondit-il sans retirer la cigarette de sa bouche et en posant la guitare à plat sur le lit.
            - Où est-il ? Demandais-je.
            - A la cave. Attends, je vais te montrer. Rajouta-t-il en se levant. »
         Après avoir éteint sa cigarette il passa devant moi sans un regard et commença à descendre les escaliers. Je me lançais à sa suite en m’interrogeant sur le personnage. De tous, il était celui que j’avais vu le plus souvent, pourtant, je n’arrivais toujours pas à cerner sa personnalité. Il pouvait aider n’importe qui, de la même manière qu’il pouvait le laisser dans les ennuis. Cela lui semblait totalement indifférent…
         Arrivé en bas des escaliers, il ouvrit la porte qui se trouvait dessous, et continua à descendre l’escalier qui se trouvait derrière d’un pas décidé. Ce passage n’était vraiment pas rassurant : les murs et les marches étaient faits de béton nus, et au plafond, une petite ampoule brillait faiblement, retenue par les câbles électriques qui l’alimentait. Je manquais de tomber une ou deux fois dans les escaliers tant ceux-ci étaient raides. Mais je fini par arriver en bas en un seul morceau. La cavé était comme l’escalier d’accès : mal éclairée. Il y avait là des étagères entières remplies de multiples objets recouverts de couche de poussière. Il n’y avait pas assez de lumière pour que je puisse tous les identifier, mais, de ce que je vis, il s’agissait d’un bric-à-brac assez important. Nous nous dirigeâmes vers une porte intégrée à un mur en béton.
         « - Laisse tes chaussures dehors. Il n’aime pas quand on rentre avec. Dit-il avant de frapper à la porte.
            - Ouais ? Fit une voix à l’intérieur.
            - C’est Jocelin, je t’ai amené Lena.
            - Ok, Vas-y, rentre. »
         Je pénétrais ainsi pieds nus dans une pièce en totale opposition avec l’ambiance de la cave : Les murs étaient blancs et lisses. Un peu partout des affiches de films et de jeux vidéo assez récents rendaient la pièce aussi attrayante qu’une chambre d’adolescent. Un peu partout, sur les étagères souvent très ouvragées, trônaient des figurines de personnages de manga ou les héros de jeux vidéo. Derrière, il y avait une impressionnante quantité de livres, la plupart paraissaient vraiment vieux, d’autres ressemblaient à des reproductions. Mais l’anachronisme, dans des étagères finement ouvragées en bois n’était pas choquant.
         Face à un ordinateur disposant de quatre écrans, Ahmed nous regarda rentrer avec un grand sourire. Sur l’écran, un jeu de tir à la première personne se déroulait. Le casque audio qu’Ahmed avait autour du cou était pourvu d’un micro, et il crachait les bruits saccadés d’armes à feu automatiques. J’entendis également « counter-terrorist wins » avant qu’Ahmed ne se mette à parler dans le micro :
         « - Bon, messieurs, je vous laisse, j’ai du boulot là. Je reviens tout à l’heure… Non… Allez… ils ont quatorze ans en face, vous devriez bien y arriver, non ?... Oui elle est jolie, et oui t’es trop curieux ! Je déco. A plus !
            - Je dérange ? Demandais-je, un peu gênée.
            - Non, Répondit-il en quittant ses écouteurs et le jeu. Un thé marocain ?
            - Oui, pourquoi pas.
            - Jocelin ?
            - Vas-y. »
         Ahmed se retourna et mit en marche une bouilloire électrique. Puis il prépara une théière dans laquelle il mit du thé, des feuilles de menthe d’un petit plant qui poussait sur le bureau, et du sucre. D’un geste il me fit signe de m’asseoir sur le lit. Jocelin, lui, s’adossa au mur.
         « - Alors, commença-t-il tandis que j’observais la chambre, maintenant que vous avez pu constater que vous étiez pourchassée et que vous aviez également des moyens de vous défendre, est-ce que vous acceptez un peu mieux votre situation ?
            - Ca ne va pas trop mal.
            - Est-ce que cela vous intéresse d’en savoir un peu plus sur nos ‘’chasseurs’’ ?
            - Bien sûr.
            - Alors je vais commencer par les différents types de démons qui peuvent te courir après. N’hésitez pas à me couper si vous avez des questions, d’accord ? Bien, en premier lieu, il y a les démons mouchards, ce sont les plus faibles de tous. Généralement, quand ils pénètrent dans notre monde, ils s’emparent d’un objet mais ils ne peuvent pas interagir avec le monde extérieur…
            - Quel est l’intérêt de venir alors ?
            - Transmettre à leurs supérieurs nos emplacements, notre puissance, nous manière de nous battre. En échange, ils auront droit à un morceau à manger.
            - C’est immonde.
            - Parce que le plat, c’est toi ! Mais si tu demandes à une vache ce qu’elle pense du sel et du poivre, tu verras qu’elle aura la même réaction. Passons à la suite. Les démons mineurs, eux, possèdent aussi un objet, mais à la différence de leurs collègues, eux, peuvent se mouvoir.
            - La gargouille. Précisa Jocelin.
            - En effet, et c’est d’autant plus facile et puissant pour eux que l’objet est ancien et chargé d’histoire. Et c’est paradoxal, mais c’est la même chose pour les altérateurs : plus ils sont anciens et chargés d’histoire, plus ils sont puissants.
            - Mais… et mon taser ?
            - Une erreur je pense. Où l’avez-vous acheté ?
            - C’était une occasion, dans une boutique de self défense.
            - Alors il y a de grandes chances pour qu’il ait déjà servi, et la frappe qu’a fournit Alibaras l’a finalisé dans sa forme d’altérateur.
            - Passe à la suite Ahmed s’il te plaît. Demanda Jocelin.
            - Est-ce que vous suivez ? Me demanda Ahmed.
            - Ca va pour le moment répondis-je.
            - Ok, les démons médians maintenant. Ce sont parmi les plus dangereux, car ils sont capables de prendre possession d’un homme. Et plus cet homme a été mauvais, plus il sera facile pour lui d’en prendre possession. Une fois fait, l’homme n’a plus que l’apparence d’un être humain.
            - Qu’arrive-t-il à son âme ?
            - D’après toi ? Répondit Jocelin
            - J’aimerais pouvoir te dire qu’elle est sauve, mais ce n’est pas le cas.
            - Hé bé ! Ce n’est pas brillant, même pour ceux qui n’ont rien à voir dans l’histoire. Me permis-je de commenter.
            - Non, et Alibaras est de ce niveau-là.
            - Hé bah ! C’est bien ma veine.
            - Attends, il y en a deux autres : le démon majeur et le prince démon. Tous les deux peuvent intervenir dans notre monde de manière personnifiée. Ils n’ont absolument pas besoin d’un réceptacle : leur puissance est suffisante pour apparaître où ils le désirent, et quand ils le désirent. Mais ils ne sont pas nombreux, une trentaine tout au plus.
            - Heureusement qu’aucun d’eux ne nous pourchasse. Dis-je.
            - T’as oublié Azraël. Corrigea Jocelin.
            - Oui, celui-là est suffisamment fort pour savoir qu’il peut venir jusqu’ici sans trop de risques.
            - Un prince ou un majeur ? Demandais-je.
            - Aucune idée, répondit Ahmed, mais une chose est sûre : il t’a dans le collimateur.
            - De toutes façons, Dès que ce sera possible, je l’emmène voir Marianne…
            - Non ! Arrête ! J’ai rien dit la dernière fois, mais là, on est à part. Elle va te tuer !
            - On verra. Répondit-il nonchalamment.
            - Jocelin, tu n’en a pas marre de jouer ta vie à la roulette russe ? Tu as mis deux semaines à t’en remettre la dernière fois.
            - Je dois être un peu maso.
            - Elle est aussi terrible que ça, cette Marianne ? Interrogeais-je, les coupant dans leur discussion animée.
            - On verra quand tu seras capable de te défendre. D’ici là, c’est hors sujet. »

lundi 18 juin 2012

09 - Le cabinet Hoppe


    Le week-end se passa sans autres incidents. Nous pûmes effectuer le déménagement de mes affaires restantes durant les deux jours. J'en profitais également pour contacter une agence afin de le mettre en location. Je me dis que cela permettrais que l'appartement soit occupé le temps que cette histoire d'âme brisée soit terminée. Toujours est-il que je repris mon travail le lundi suivant. Les derniers jours que j'avais passé avaient été très mouvementés et lourds en révélations. Et la vie dans le petit cabinet comptable n'avait pas été modifiée en quoi que ce soit. Marine et Yasmina m'interrogèrent toutes les deux à la pause de midi, et, à ma grande tristesse, je ne pus leur dire la réalité de ce qui s'était passé. Je leur avais donc raconté une très belle histoire, bien réaliste qui collait bien aux dégâts qui avaient eu lieu autour de moi. Leurs réactions avaient été très différentes : Marine avait absolument besoin de me dire qu'elle me soutenait moralement dans cette épreuve. Quand à ma Boss, Yasmina, elle s'assura que tout ce qui pouvait être fait l'avait été. Pour la suite, elle m'annonça que si j'avais besoin de jours pour cette affaire, on s'arrangerait.
        Ce fut donc après un bruyant soupir que je pris mon café à mon bureau en étendant mes jambes. Mes yeux se posèrent alors sur le dossier en cours. Je l'avais sorti pour vérifier les investissements des différents responsables et leurs impacts dans le chiffre d'affaire de l'entreprise. Une simple entreprise de terrassement.
Pourtant, je me figeais.
      J'avais une sensation étrange. Comme une personne qui se trouve devant un autostéréogramme, et qui, petit à petit, voit apparaître une image parmi les plus horribles.
   « - Lena, on a un client. Un gros ! »
    L'annonce de Yasmina, à la porte, me fit sursauter.
  « - Héla, qu'est-ce qui se passe ? Me demanda-t-elle, tu es en sueurs.
     - C'est bon, ça ira.
     - Tu es sûre ?
     - Oui, oui, c'est bon, je vais juste me passer un petit coup sur le visage.
     - Ok, je te l'envoi.
   - Attends ! La stoppais-je. Je croyais que tu t'occupais des gros clients, alors pourquoi est-ce que c'est à moi de l'accueillir ?
    - Va savoir, il a été envoyé par une personne qui a fait tes louanges à ce que m'a dit Marine. C’est Monsieur Hoppe. Allez, en piste ! C'est quasiment gagné, à toi de ferrer. » Yasmina quitta le bureau d'un pas motivé par les bénéfices et la réputation que ce client allait nous faire.
      J'eus beau passer en revue toutes les affaires que j'avais pu avoir. Mais je n'en vis aucune qui aurait pu mériter une telle publicité. J'ouvris le placard pour prendre un classeur vide et le préparait à recevoir les documents nécessaires à une expertise comptable correcte. Pendant cette petite préparation, un sentiment de danger imminent s'immisça en moi. Je pris le taser et le cachais dans une des poches de ma veste avant d'aller chercher ce nouveau client.
   « - Monsieur Hoppe ? » Demandais-je à l'entrée de la salle d'attente.
Juste à ma droite, un homme en costume sombre se leva.
   « - Je vous en prie, appelez-moi Yvan. » dit-il en me tendant la main.
     Je la lui serrais et l'observais de plus près. Il devait avoir dans les quarante ans, avec un visage bronzé sur lequel commençait à poindre les premières rides. Des cheveux noirs bien coiffés et des yeux bruns complétaient le visage du personnage. Un costume de grande marque noir, avec une chemise blanche et une cravate argentée criaient sur tous les toits qu'il n'était pas dans le besoin. Son autre main traînait une serviette en cuir brun qui avait vécu.
   « - Suivez-moi voulez-vous ?
     - Bien sûr ! »
    Je le fis entrer dans mon bureau et lui proposa de s'asseoir. Ce qu'il fit en me remerciant tandis que je fermais la porte. Puis j'allais m'asseoir sans le quitter des yeux.
   « - Et bien monsieur Hoppe...
      - Yvan, coupa-t-il.
     - Bien. Yvan, vous cherchez donc un cabinet comptable pour votre société. De quel genre de société s'agit-il ?
      - Un cabinet d'avocats. Le cabinet Hoppe et associés.
    - Une spécialisation ? » Demandais-je en prenant des notes et en remplissant le dossier sur le qui-vive.
    Il avait annoncé être spécialisé dans la défense de crimes de sang et toutes les autres affaires dont les avocats avaient du mal a accepter de réaliser pour des problèmes d'éthique. Ce fut à ce moment-là que je décidais de le couper, car j'étais persuadée que c'était lui que j'avais en face de moi :
    « - Arrêtez Azraël. Que voulez-vous réellement ? »
     Il resta interdit un instant. Avant qu'il ne change complètement. Son visage se modifia, pour prendre la forme de ce jeune homme qui était venu proposer un pacte. Toujours ce même regards de braises et ce sourire malsain.
    « - Un plaisir de vous revoir Mademoiselle Clanford. Vous m'avez démasqué en moins de deux minutes... Décidément je me fais vieux. Vous auriez au moins pu jouer le jeu jusqu'au bout : Sinon, cela gâche mon plaisir. Dites-moi, Comment avez-vous deviné ?
       - Une intuition.
       - L'intuition féminine... Alala. Comme il serait intéressant que les Succubes aient un tel sens. Et... Que voudrais-je selon vous ?
       - Maintenant je sais me défendre. Faites attention.  Dis-je, prête à défendre mon âme.
     - Je n'en doute pas. Répliqua-t-il avec un petit rire signalant qu’il ne se sentait aucunement inquiété. Mais ce n'est pas la bagarre qui m'amène à vous Mademoiselle. Sur ce point, votre intuition vous a fourvoyé.
      - Je préfère être prudente.
      - J'en conviens parfaitement. Dit-il en faisant un mouvement de demi-cercle avec la tête. Mais je suis venu pour vous proposer des informations qui ne manqueront pas de vous intéresser. »
      Je ne savais pas trop quoi penser à ce moment-là. Tout s'était embrouillé. J'étais un peu comme un de ces petits dealers de banlieue, assis en face d’un baron de la drogue Mexicain.
    « Alors ? Redemanda-t-il avec le sourire de celui qui sait tout et qui est content de jouer avec les informations.
     - Je vous écoute.
     - Ah non, ce n'est pas aussi simple ! Tout se paye.
    - Si c'est mon âme, vous pouvez oublier tout de suite. Répondis-je en glissant ma main vers ma poche.
     - Votre âme ? Voyons… Non, pas tout de suite. C'est trop tôt. »
Ces derniers mots, le démon que j’avais en face de moi les avaient prononcés avec un plaisir non feint. Sa voix était posée et extrêmement calme, presque envoutante. Je venais de lui annoncer que j’étais prête à me défendre, pourtant, cela ne l’inquiétait pas.
   « - Pourquoi avoir cherché à la marchander alors ? Demandais-je alors, sur la défensive.
      - Pour une comptable, vous faites beaucoup d’erreurs de calculs je trouve. Tiens, d’ailleurs, j’avais une question à vous poser. Est-ce que ce costume me convient ?
        - Pardon ?
     - La dernière fois que je suis sorti des Enfers, c’était sous Napoléon. J’ai pu constater que la mode avant changé. Je me suis donc rendu chez un couturier, et j’ai pris ce que tout homme élégant porte dans la rue. Qu’en pensez-vous ?
       - Je pense que vous n’en venez pas au vif du sujet.
       - Non, en effet. Mais j’aurais voulu un avis objectif sur ma tenue. Alors ?
       - Elle convient à votre fonction. C’est suffisant ?
       - J’aurais espéré un peu plus. Mais je vais m’en contenter. Venons-en à la raison de ma présence en ces lieux. Je suis venu vous proposer un petit marché. Ce n’est pas un pacte, c’est un échange de bons procédés. Je tiens à préciser qu’à tout moment l’un comme l’autre nous pouvons mettre fin à cet arrangement. Il s’agit, pour vous, de vous occuper de la finance de mon cabinet d’avocats, de mon côté, je m’engage à vous fournir les informations qui vous intéresseront sur mes congénères ou leurs objectifs. »
     Il est facile de dire, ‘’n’accepte pas : c’est un piège !’’, mais, d’un autre côté, je pouvais disposer de nombreuses informations. Je savais qu’il y avait une escroquerie quelque part. Mais je ne savais absolument pas où. J’avais beau chercher, je ne voyais absolument pas l’erreur dans cette équation. Devant moi, Azraël continuais de sourire, se délectant de mon hésitation. Je choisis d’accepter. Primo parce que je voulais des infos, secundo, parce que cette arrangement pouvait être arrêté à tout moment.
    « - C’est d’accord. »
     Je vis dans ses yeux qu’il était arrivé à ses fins. Il était content de lui, et son sourire carnassier s’accentua.
    « - Bien, dans ce cas, je vais vous annoncer votre première nouvelle : Alibaras a été libéré aujourd’hui.
      - Qui est-ce ?
      - Votre plus gros problème. C’est le responsable de votre état. C’était à la base un démon mineur. Mais il a monté des échelons par la force et est devenu un démon mediant, et il s’est cru suffisamment bon pour attaquer une âme-brisée. Manque de chance, au lieu d’en éliminer une, il en a créé une. Très particulière je dois dire… Mais là n’est pas le sujet. Il a été condamné à une peine dans les geôles de Musfir dans le troisième royaume et à être dégradé. Il pourra récupérer ses titres et ses prérogatives s’il répare son erreur.
     - Vous êtes en train de me dire que je suis sa cible, exact ?
    - Oui. Ne vous attendez pas non plus à ce qu’il vous attaque seul : il a toujours des alliés qui lui sont fidèles.
     - Attendez une minute ! Je n’y suis pour rien moi ! Dis-je, atterrée.
     - Je n’ai jamais dit que c’était juste. Dites-moi, est-ce que vous lisez les journaux ?
     - Non. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec moi.
    - Pas grand-chose pour le moment, mais vous devriez vous y intéresser incessamment sous peu. Bien, je n’ai plus rien à dire. J’ose espérer que mes comptes seront bien tenus.
    - Ah non ! Ne croyez pas que vous allez vous en tirer comme cela !
    - Eh si. J’en ai déjà trop dit. Ce faisant, pour disposer d’autres informations ; prenez bien soin de mes petits protégés. Bisou.  »
      Je n’eus pas le temps de répliquer, il disparut en un clignement d’œil. Ne laissant que sa sacoche à coté de sa chaise. Je restais sur le qui-vive, je n'avais aucune raison de penser qu'il avait réellement quitté mon bureau. Je pris bien dix minutes avant de me lever et de prendre la sacoche. Avec beaucoup de précautions, je l'ouvris, découvrant tout les documents nécessaires à une intégration dans les bases de notre petit cabinet comptable. Je rangeais le tout dans la sacoche et la posais contre un mur en me demandant quoi faire.
     Mais je savais le savais pertinemment : J'avais accepté de m'occuper des comptes de ce cabinet d'avocat en échange d'informations. J'avais eu des informations, et je devais maintenant assurer ma part du marché. Mais, dans ma tête, je n'en avais aucune envie. Une seule chose me motivait : la volonté d'en savoir plus. Et il semblait le seul actuellement à pouvoir m'informer. Néanmoins, je me dis qu'il faudrait que j'en parle au reste de la colocation... Histoire de m'assurer que je n'eusse pas fait d'erreur.
   « - Bah... Où est passé Monsieur Hoppe ? Me demanda Marine en entrant dans mon bureau. Une tasse de café dans les mains.
      - Il est reparti, il était pressé.
      - Oh ? Et tu le connais ?
      - Un peu trop à mon goût.
      - Je le trouve mignon moi. Un peu vieux peut-être, mais quand on est pété de fric, ça ne compte pas, non ?
      - Marine, dis-je le plus sérieusement possible, ne t'approche pas de cet homme, il ne t'attirera que des ennuis.
       - T'es jalouse ?
      - Fait ce que tu veux Marine. Mais sache que tu perdras beaucoup plus que tu ne l'imagines si tu le fréquentes. Je te le garanti. »
      Elle sortit un peu en colère, mais c'était un moindre mal. Autant lui éviter l'Enfer tant que possible. Aurais-je pu lui dire la vraie nature du personnage sans pour autant passer pour une folle ? Je ne pense pas. Alors je fus heureuse de porter le costume de la méchante de service en remplissant les documents nécessaires pour pouvoir accéder au comptes de cette société. Je savais de manière sûre qu'Azraël ne m'avait pas tout dit. Et j'étais persuadée que je n'étais pas au bout de mes surprises si je me mettais à fureter dans les comptes de ces avocats.
      Le soir même, au moment du dîner, je racontais à table ma petite aventure. Tous gardèrent le silence, et je n'eus aucune confirmation du bien fondé de ma décision ; ni même que c'était une erreur.
     « - Faites attention Lena, me dit Alphonse à la fin du repas et de mon histoire. Ce démon là à l'air bien plus dangereux que ceux que nous affrontons généralement : il réfléchit. Par contre, ce que je ne comprends toujours pas c'est cet intérêt généralisé pour vous. Il va vraiment falloir tirer cette affaire au clair avant de faire n'importe quoi.
      - N'empêche que c'est un bel enfoiré. Même dans son nom il se fout de nous ! » Lâcha Vanessa. Le repas terminé, elle était allée se procurer une glace qu'elle mangeait avidement. Tout le monde se mit à regarder la belle blonde avec surprise. Lorsqu'elle le remarqua, la jeune femme se stoppa :
    « - Attendez, me dites pas que vous n'avez pas remarqué...
       - Explique-toi s'il te plait demanda Paul, je n'ai rien compris.
       - Yvan Hoppe. Yvan Hoppe, répéta-t-elle.
       - Et alors ? Demanda Jocelin.
       - Ok, je vais le dire avec l'accent anglais : ''Heaven Hope'' »
     ''Heaven Hope'', ou ''l'espoir du Paradis'' dans la langue de Molière. Le choc fut important, et je compris que l'un de mes principaux poursuivant jouait avec moi comme un chat sadique avec une souris. Le plus terrifiant était que je jouais sans en connaître les règles. Et en cas d'erreur, le dénouement ne faisais aucun doute.

jeudi 14 juin 2012

08 - Un grand coup de fouet


     Nous montâmes dans plusieurs voitures, et Alphonse insista pour que je fasse le trajet dans la deux-chevaux de Jocelin. Je dû faire un gros travail sur moi-même pour trouver le courage de monter dans ce véhicule d’une autre époque. Mais, finalement, je me laissais convaincre en me disant qu’il y avait certainement une raison à cela. Notre petit convoi se composait de trois voitures, en premier la plus lente : la deudeuche crème, ensuite venait une Renault Clio verte, puis une Nissan Swift rouge aux vitres teintées. Nous nous engageâmes sur l’autoroute en direction de l’Est.
     Ce fut la première fois que je quittais la région parisienne. Je n’avais jamais ressenti le besoin de quitter cette région, même pour les vacances. Jusqu’à présent, je passais mes congés à visiter les différents musées de la capitale la journée et passais mes nuits en boite. Donc, pas d’envie particulière de mer, de campagne ou de montagne. Je vis pourtant peu à peu les constructions disparaitre, pour laisser place à de la campagne. Dehors le soleil commençait à se coucher dans de belles couleurs rouge et orange. Le bruit, dans le véhicule était infernal, personne ne pouvait parler, tant le véhicule avait du mal à nous trainer à cent kilomètres à l’heure. Nous étions quatre, devant, au volant, Jocelin conduisait d’une main, accoudé à la portière. A côté de lui, Vanessa regardait la route. Sur la place passager gauche, un sac à dos en forme d’énorme lapin blanc sur les genoux, Paul regardait le paysage défiler par la fenêtre.
     Après être sorti de l’autoroute, nous traversâmes de nombreux villages avant de nous arrêter devant une usine désaffectée. Je vis Ahmed sortir d’une voiture pour nous ouvrir le portail, et les trois voitures entrèrent dans la cour devant le bâtiment.
     Je descendis tandis que l’astre solaire commençait à disparaître derrière l’horizon. L’usine, telle qu’ils l’appelaient était là. Une grande bâtisse faite de béton recouvert d’une peinture jaune qui ne pouvait cacher les fissures. La jonction entre les murs et le toit étaient réalisé par de nombreux vasistas. Mes pieds foulèrent le sol de terre battue et j’entrais à la suite de Vanessa dans le bâtiment. C’était une immense cathédrale de béton avec des colonnes circulaires de quarante centimètres de diamètre qui soutenaient le toit lui aussi bétonné. C’était vide, mais sans détritus, seule la très grande quantité de poussière qui recouvrait le sol témoignait de l’abandon de cet endroit. Nos pas résonnaient sur les murs, nous rendant plus nombreux que ce que nous étions réellement.
     Je les suivi jusqu’à un bâtiment dans le bâtiment, sur la droite. Sur deux étages, ce dernier était probablement les restes de ce qu’étaient les bâtiments administratifs. A l’intérieur, le mobilier de bureau avait été remplacé par des canapés et des tables basses.
     Nous nous réunîmes dans la petite pièce, et ce fut Alphonse qui donna ses directives.
    « - Aujourd’hui, on va faire simple si vous n’y voyez pas d’inconvénients, chacun s’entraîne dans son coin, sauf Lena, Ahmed et ceux qui veulent travailler en double. Ahmed, forme-là s’il te plait, qu’elle apprenne à utiliser son taser.
        - Bien sûr. Venez, on va se mettre à part, ça risque de chauffer un peu quand les autres vont se défouler. »
    Je me mis à le suivre dans les escaliers pour monter à l’étage de la zone administrative. D’une oreille, j’entendis Paul dire haut et fort :
     « - Je sens que je vais bouffer du lézard aujourd’hui.
       - Ouais… c’est ça. T’es pas crédible ‘’Polochon’’. Répliqua Jocelin
       - Arrête de m’appeler comme ça ou je t’éclate !
       - Essaye un peu pour voir. ! »
      Le reste de la conversation me fut inaudible et je rejoignis Ahmed. Je pus alors mieux discerner le personnage : il devait avoir dans les quarante ans et son visage un peu ridé m’envoyait un sourire des plus enjôleurs. Sa chemise blanche était glissée à l’intérieur de son pantalon en jean et le tout était retenu par une ceinture noire. A ses pieds, une paire de baskets de moyenne gamme un peu élimées lui donnaient un air décontracté. Il avait des cheveux courts qui viraient au blanc et qui contrastaient beaucoup avec ses yeux d’un noir très profond.
     « - On se tutoie ?
        - Bien sûr.
       - Alors nous allons commencer par regarder les autres, ensuite, nous descendrons et vous vous y essayerez.
        - D’accord.
     - Approches-toi de la fenêtre, j’ai entendu Paul et Jocelin, je crois qu’ils vont chahuter un peu. Ça risque d’être intéressant. »
      Alors que je m’approchais du quadragénaire, je vis Jocelin, le gothique, courir à reculons. Il regardait quelqu’un ou quelque chose avec un grand sourire. Arrivé à une distance respectable, il s’arrêta et rabattit une épaisse capuche noire sur son visage. Je vis alors sa main gauche briller légèrement tandis que sa morphologie changeait. Il devint plus gros, plus grand, au point d’atteindre dans les deux mètres cinquante de haut. Je n’aurais su le dire clairement à ce moment-là, mais je fus persuadée d’avoir vu une épaisse queue lisse et argentée dépasser du manteau noir. A ma grande surprise, ses vêtements s’adaptèrent à sa nouvelle et étrange forme. Il releva légèrement la tête, et vis soudain que la capuche avait grandie et qu’une gueule avec des dents acérées comme des poignards se mouvait dessous.
       « - Allez boucles d’or ! Envoi tes ours, j’ai besoin d’une descente de lit ! »
     La voix était grave et rugueuse. Rien à voir avec celle du jeune homme que je connaissais. Pourtant, l’intonation était là.
      « - Je me demande si tu te sépares aussi de ta queue quand tu as peur ? »
       Paul s’avançait vers lui, avec les trois ours qui avaient ravagé mon appartement et le lapin en peluche sur le dos. Il portait des gants à moumoute et des chaussons de monstres comme ceux des enfants. J'eus peur pour Jocelin, j’avais vu à quel point les ours pouvaient être dangereux quand ils étaient ensemble. L’un d’entre eux s’échauffait la nuque, un autre les poignets et le troisième sautillait.
      Soudain, suite à un top départ invisible, les ours se jetèrent sur Jocelin, qui les balaya d’une seule main avant de se précipiter sur Paul. Ce dernier esquiva tandis que les ours revenaient à la charge.
     « - Il faut les arrêter, ils vont se faire du mal.
       - Non, là ils chahutent comme des gosses. Me répondit Ahmed alors que l’ours bleu s’écrasait contre la vitre suite à un nouveau coup de Jocelin. Mais tu vois ici les deux types de pouvoirs auquel nous pouvons faire appel. Le type direct : celui de Jocelin, qui transforme son utilisateur, ou l’arme en conséquence. Et il y a celui du type indirect, comme les ours de Paul, qui lui permet de faire intervenir des alliés. Autre chose, en dehors des chaussons et des gants de Paul, les vêtements qu’ils portent tous les deux sont ceux qu’ils portaient quand ils sont été transformés… »
    Je regardais mon professeur tandis qu’il récitait sa leçon. Il avait changé d’expression, il était dur et froid.
      « … Cela a le mérite de renforcer tes pouvoirs, mais a tendance à attirer les démons. Une utilisation à double tranchant. Ici, dans ce lieu que nous avons protégé avec nos moyens, nous pouvons apprendre à nous maîtriser. Généralement, nous nous entraînons en solo pour connaître nos limites, mais parfois, comme Paul et Jocelin, nous simulons un vrai combat. Et toi ? Est-ce que tu as déjà fait un sport de combat ?
       - Non. A peine un peu de gymnastique quand j’étais enfant.
     - Alors il va falloir que tu t’y mettes. On va redescendre, je pense que tu en as assez vu, ça va être à toi d’agir maintenant. »
     Nous descendîmes par les escaliers. Dans l’usine, les deux combattants faisaient un bruit de tonnerre. Je vis Asami, assise en tailleur face à une grande cuve de récupération d’eau. Quelque chose de rouge se déplaçais lentement dedans. Dans un sens, puis un autre. Alphonse jouait de la flute traversière face à un parterre de fleurs qui s’ouvraient et se fermaient sur la mélodie. Mais c’était la manière dont se battaient les deux hommes qui était la plus impressionnante : Paul utilisait ses ours comme des assaillants de première ligne et s’esquivait dès qu’il le pouvait. Quand il ne le pouvait pas. C’était le lapin qu’il avait sur le dos qui rentrait en action. Des pattes où des oreilles, il stoppait la frappe de Jocelin. Deux ou trois fois, ce fut avec ses pattes arrière que Paul se propulsa dans les airs. De son côté, Jocelin semblait gêné par les ours, mais pas vraiment inquiété. Sa force et sa rapidité avaient été démultipliées. Mais même ainsi, c’était particulièrement difficile.
      « - Hého ?
        - Oui ? Dis-je en me focalisant de nouveau sur Ahmed.
        - Sort le taser, et fait un essai : y’a pas d’eau actuellement. »
       Dernièrement, à chaque utilisation de cette arme d’autodéfense, je finissais dans les pommes. Aussi, c’est sans grande motivation que je le sorti de mon sac à main. Il était toujours le même, noir mat avec ses deux petites électrodes, sa garde et son halo bleuté. J’avais réellement peur d’appuyer sur la détente, j’en étais tétanisée.
     « - Ne t’inquiètes pas, ici, tout ira bien. » Me dit Alphonse avec un grand sourire.
     Un par un, je les regardais, cherchant au fond de leurs yeux une raison de douter de la confiance que je leur portais. Même Jocelin et Paul s’arrêtèrent un instant pour m’encourager silencieusement. Lentement, je dirigeais le taser vers un endroit vide, puis, prenant mon courage à deux mains, j’appuyais sur la détente.
     La lumière fut éblouissante. Des arcs électriques sortirent de l’appareil dans tous les sens. Ils frappaient les murs, le sol, et même les lumières et le toit dans un bruissement de tonnerre. Puis, soudain, les différents arcs tournoyèrent pour tresser une longue corde.
     Une fois fini, j’avais entre les mains un taser qui se finissait en un fouet d’une couleur irréelle. Un bleu lumineux. J’ai longtemps cherché à le comparer à quelque chose d’existant, et, sur internet, je n’ai trouvé que l’effet Tcherenkov pour approcher la couleur. Ceux qui travaillent dans les centrales nucléaires savent certainement de quoi je parle. Cette couleur bleue, lumineuse, étrange, qui sort totalement de notre monde. Le fouet trainait au sol, de temps en temps, un petit arc électrique rappelait sa matière. Il était long de trois mètres cinquante, et, les éclairs qui le formaient avaient tissés un complexe réseau en son sein.
      Tout le monde était bouche bée.
      « - Il ne lui manque plus que le corset et les cuissardes. »
       Vanessa, fière de sa remarque, fut prise d’un fou rire. Et, tout rire étant communicatif, les uns après les autres, les membres de la brigade souriaient pour les plus discret, riait franchement pour les plus expressifs. Moi, toujours sous le choc d’avoir quelque chose d’aussi beau et fantastique entre les mains, je m’interrogeais sur ce qu’elle voulait dire (Je ne compris que plus tard l’allusion à un costume Sadomasochiste !)
     « - Lena, est-ce que tu sais t’en servir ? Me demanda Ahmed
       - Non. Ce n’est pas le genre de chose que j’utilise d’habitude. »
       Vanessa hurla de plus belle en marmonnant quelque chose sur des talons aiguilles. Elle pleurait de rire, Alphonse me tournait le dos et se tenait l’arête du nez en regardant le sol. A ses haussements d’épaule, je compris qu’il faisait de très grands efforts pour rire discrètement.
     « - Bon, je vais faire un essai. » Dis-je en m’écartant du petit groupe vers une des colonnes de béton. Je commençais, moi aussi à être atteinte par ce rire hautement communicatif. Je ne savais pas me servir d’un fouet, je me suis bien améliorée depuis. Mais, pour mon premier essai, je n’imaginais pas que cela ferais autant de dégâts.
     Avec beaucoup de maladresse, je lançais le fouet pour le claquer autour de la colonne. Le fouet bleu s’enroula autour poteau du béton. Mais, au moment, où l’extrémité toucha le béton, celui-ci éclata, coupant le poteau en deux et projetant des éclats un peu partout. Je fus éjectée en arrière sur un petit mètre, les graviers et les éclats me cinglèrent, m’occasionnant de multiples petites entailles.
      L'onde de choc, elle aussi fut terrible. Je retrouvais assise sur le sol complètement sonnée. Avec, en face de moi un poteau en deux parties : un espacement de dix centimètres entre la partie supérieure et la partie inférieure était apparu.
     En un rien de temps, l'ambiance bon enfant avait disparue. Et tout le monde se précipita à mon secours. Mais je n'avais rien, juste un peu sonnée.
     « - Oh ? Ça va ? Me demanda Ida.
        - Oui, enfin, je crois.
        - On aurais dit que la foudre a touché le poteau. Dit Ahmed
        - Je crois que c'est le cas.
        - Va falloir réparer. Quelle merde ! Dit Jocelin en secouant la tête
        - Je suis désolée.
      - Ne vous inquiétez pas Lena : ce n''est pas grave. » Me rassura le vieil homme.
      Intérieurement, en voyant le trou dans cet énorme poteau provoqué par un objet avec un halo bleu, je m'interrogeais sur les autres couleurs. Je n'ai jamais été une fanatique des armes, de par ma nouvelle situation d'âme brisée, je savais qu'il était absolument nécessaire de m'équiper. Mais là, je trouvais que les arguments dont je disposais étaient un peu trop convainquant. Il commençaient même à me faire peur. Altéré avec le taser, j'avais une capacité de destruction effrayante. Quel pouvait bien être mon pouvoir de base. Lui qui ne s'était toujours pas manifesté, avait-il un lien avec le fait que j'étais plus pourchassée que les autres âmes brisées.

lundi 11 juin 2012

07 - Evolutions


     Après avoir fait une rapide toilette dans la salle de bain, sur le palier, je suis allée me coucher. Sous la couette, en chemise de nuit, je me remis à penser à tout ce qui s’était passé. En moins de deux jours, J’avais quitté ma petite vie tranquille, et j’étais devenu un plat recherché. J’habitais avec des inconnus, ils n’étaient pas méchants, mais je ne les connaissais pas. Dans les ténèbres, je m’interrogeais aux raisons qui avaient fait que le destin s’acharnait sur moi ; et surtout, aux différents moyens que j’avais d’en réchapper. Autour de moi, tout était calme, les stores fermés, la lumière de l’astre lunaire arrivait tout de même à passer entre les volets, et éclairait ma nouvelle demeure avec des nuances de gris.
     Je me relevais d’un coup sec. Une idée en tête.
     Si les démons existaient, pourquoi pas les anges ?
     Je me rallongeais en m’interrogeant aussi sur la religion qui pouvait me guider dans ce domaine que j’avais négligé tout au long de ma vie. Si c’était des démons, ils devaient bien appartenir à une religion, et les anges ou le dieu de cette dite religion pourrait bien m’aider. Pour peu que j’en comprenne les préceptes… Dans mes réflexions, je m’interrogeais aussi sur les raisons pour laquelle personne n’y avait pensé plus tôt. Cela ne pouvait pas être un simple oubli, il y avait forcément une raison à cela, mais laquelle ? Le plafond ne fournissait aucune réponse sur le sujet. Je changeais de position, me tournant sur le côté gauche. Je choisi finalement d’interroger mes hôtes le lendemain matin. Les informations rangées dans un coin de mon esprit, je me mis à chercher les bras de Morphée en me disant qu’un peu de chaleur humaine ne me ferait pas de mal, en attendant l’Enfer.
     Je dormi d’un sommeil sans rêves. Réparateur, et profond, c’était peut-être dû au fait que mon déficit de repos avait été très prononcé ces derniers jours. Toujours est-il que je me suis réveillée le lendemain matin sans aucune trace de fatigue.
     La lumière du soleil filtrais entre les volets, comme celle de sa cousine la lune quelques heures auparavant. Un peu de poussière en suspension brillait comme autant de microscopiques créatures en suspension dans l’air. Je me levais et descendis les escaliers en chaussons et en chemise de nuit. J’arrivais rapidement au rez-de-chaussée, la maison était étrangement silencieuse. Durant un court instant, je me suis inquiétée. Mais, dans la cuisine, buvant son café devant un journal étalé devant lui, Alphonse releva la tête, et me sourit.
« - Alors ? Me demanda le vieil homme tandis que je m’approchais de lui. Bien dormi ?
   - J’ai bien dormi. Et vous ?
   - Il y a bien longtemps que je ne dors plus. Qu’est-ce que vous voulez prendre pour le petit déjeuner ?
   - Un café noir. Tout simple.
   - Vous devriez manger un morceau. Il est dit que le petit déjeuner est l’un des repas les plus importants de la journée.
   - Où sont les autres ? Demandais-je naïvement.
   - Ils travaillent. Répondit le vieil homme en me servant une tasse de café. Être une âme brisée donne des capacités spéciales et des ennuis particuliers, mais ça ne fait pas chauffer la marmite. »
Je pris la tasse de café tandis que mon esprit démarrait. Un paquet de gâteaux au chocolat se posa en face de moi.
« - Mangez, vous verrez, ils sont bons.
   - Dites, est-ce que les anges existent ?
   - Ah. Je l’attendais celle-là. Répondit Alphonse en s’installant en face de moi à la table de la cuisine. Ils existent probablement, pour être franc, je n’en ai jamais vu un seul. Peut-être se désintéressent-ils de notre situation ou de ce qui se passe sur terre. Je n’en sais rien.
   - Et les religions ? Il y a-t-il une religion vers laquelle nous pouvons nous tourner ?
   - Bonne question… Au moyen-âge, les gens comme nous étaient considérés comme des sorciers ayant pactisé avec le diable. Vous devinerez aisément la suite. En fait, tout cela est soumis à l’interprétation de l’Homme. Selon qu’il soit agressif ou tolérant, il trouvera toujours dans la religion ce qu’il cherche. Quelle que soit la religion d’ailleurs.
   - Rien à tirer de ce côté-là alors.
  - Non, depuis la nuit des temps, les démons évoluent discrètement autour de nous. Suivant les religions, ils portent des noms différents, mais ils ont toujours un contact avec l’une ou l’autre d’entre-elles.
   - Donc, si je fais la synthèse, toutes les religions sont fausses.
   - Ou elles sont toutes vraies. Cela dépend de l’interprétation que l’on en fait. Mais je suis une âme brisée, pas théologien. Je leurs laisse ce sujet que beaucoup d’entre nous ont cherchés à solutionner… Sans succès.
   - Dommage. J’ai cru que l’on aurait pu avoir de l’aide. Dis-je avant de porter la tasse à mes lèvres.
   - Ce n'est pas une bonne idée : en ce qui nous concerne, sachez que certains n’ont pas quittés le moyen-âge question mentalité. »
    Je faillis m’étrangler en entendant ces mots. En gros, non contente d’avoir tout un tas de démons cherchant à me faire descendre dans leur assiette, il y avait également une bande d’illuminé prêts à m’y pousser. Ma situation, déjà pas enthousiasmante, venait de prendre un nouveau danger.
« - Donc, nous sommes seuls. Résumais-je.
   - Pour solutionner notre situation. Oui. Mais, au-delà de ça, il y a tout un tas d’autres… protagonistes qui interviennent dans l’affaire. Mais il est peut-être un peu tôt pour en parler. Nous avons des choses à faire aujourd’hui. Jocelin m’a dit ce matin que vous possédiez un taser. Pourrais-je le voir ? »
    J’hochais la tête tout en m’interrogeant sur les raisons de son hésitation. Le café fini, je fis ma toilette avant de m’habiller et je sorti de mon sac l’engin d’auto-défense dans ma chambre. Sous la surprise, il m’échappa des mains et tomba au sol comme si je m’étais brulée.
     Un petit halo bleu, très clair entourait l’objet posé sur le sol.
    Je me penchais alors sur ce petit appareil électrique posé sur la moquette. Le halo était toujours là, transparent, de quelques centimètres d’épaisseur. A l’aide d’un stylo, je me mis à toucher l’objet comme pour le faire réagir. Mais il ne se passa rien. Je ne savais pas comment réagir face à cette situation. Finalement, je le pris à l’aide d’une serviette, en faisant bien attention de ne pas le toucher des mains. Je descendis alors quatre à quatre les escaliers pour montrer au vieil homme l’étrange objet.
    Il le prit à main nues, et le fit tourner entre ses mains, le soupesant, et l’analysant dans ses moindres recoins. Moi, je le regardais faire, tentant de comprendre ce qui se passait. Ce n’était qu’un taser, noir, avec une garde sur la poignée pour protéger la gâchette d’une erreur de manipulation.
« - Voilà qui est bien surprenant… tu l’avais dans les mains quand le démon t’as frappé ?
   - Oui. Pourquoi ?
   - De quelle couleur le vois-tu ?
   - Euh… bleu… bleu ciel. Pourquoi ?
   - Il a été altéré, je le vois en jaune or. C’est plutôt rare avec les objets modernes. Normalement, tu devrais pouvoir t’en servir. Allons dehors. »
Je le suivi dans le petit jardin, coté cimetière. Dehors, le soleil brillait. Je le vis alors secouer l’arme d’auto-défense, lui donner des petits coups avant de me regarder.
« - Comment est-ce que cela marche ? Je n’avais pas ce genre de choses à mon époque.
   - Appuyez sur la gâchette, puis, vous touchez votre agresseur avec les deux parties métalliques à l'extrêmité.
   - D’accord, attention à vous. »
    Il me tourna le dos et j’entendis un bruit des plus étranges. Comme si une personne venait de lâcher une énorme flatulence. Je le vis avoir un mouvement de recul ou de surprise, avant de rire à gorge déployée. Il se retourna alors vers moi, un énorme bouquet de fleurs de toutes les couleurs sortait du taser. Il était fier d’avoir un tel bouquet entre les mains. Son doigt lâcha la gâchette, et comme coupées par une paire de ciseaux, les fleurs tombèrent au sol.
« - Eh bien, j’ai beau le voir en jaune, il m’est totalement inutile. Sauf peut-être dans le jeu de la séduction… mais j’ai passé l’âge… A vous. Me dit-il en me tendant le taser.
   - Attendez, dis-je, je ne comprends pas ce qui s’est passé.
   - Eh bien, cet objet a désormais la capacité d’altérer votre pouvoir. Ses effets sont différents suivant les personnes. La puissance s’un objet est identifiable par la personne qui le voit en fonction de la couleur dont il est recouvert. Cela fait toutes les couleurs de l’arc en ciel, du rouge, le moins puissant, au violet, extrêmement dangereux. Bien entendu, le degré de rareté est équivalent, mais l’utilité laisse parfois à désirer... On a parfois des surprises. Allez, un peu de courage ! »
    Le vieil homme me plaça le taser entre les mains, et me regarda aller au milieu du jardin. J’appuyais sur la détente, en m’interrogeant sur ce qui allait bien pouvoir se passer. J’eus juste le temps de voir un éclair blanc et bleu.
   Je repris mes esprits à nouveau allongée dans le canapé, avec une brûlure au mollet droit. Alphonse passait un désinfectant sur la petite plaie.
« - Que s’est-il passé ? Articulais-je avec difficulté.
    - Rien, ce sont juste les risques du métier : ne pas jouer avec l’électricité lorsqu’il y a de la rosée dans le jardin. Rappelez-vous en pour la suite, cela évitera les mauvaises manipulations. »
     Il me mit un pansement, puis il m’imposa de me reposer jusqu’en début d’après-midi. Je me levais bien avant, et trouvais le taser posé sur la table du salon. Je n’avais aucune idée de ce qui s’était passé, mais, c’était très probablement lié à l’électricité.
    Après manger, nous sortîmes ensemble et allâmes ainsi de brocanteurs en antiquaires. Il m'avoua être à la recherche de matériel pour moi. Si je voyais quoi que ce soit qui soit pourvu d'un halo, je devais le prévenir. Mais, en dépit de nos efforts les plus francs, cela fut vain. Du moins, jusqu'à ce que je la vis dans la vitrine du dernier des magasins.
    Une lance très étrange, longue de deux mètres, avec, au bout, deux lames fines et parallèles. Un peu comme un élégant diapason affuté planté en haut de la longue barre de bois. Trois plumes ornaient la jointure finement ciselée et les emplacements des mains. Faite d'un bois brut, c'était à la fois une œuvre d'art et un objet qui semblait fonctionnel. Le halo qui l'entourait était à peine visible je n'arrivais voir qu'une infime variation de lumière. Elle était chère, beaucoup trop chère pour ce qu'elle était. Alphonse, en se basant sur les descriptions de ce que je voyais, s'en désintéressa. Mais, je n'avais rien trouvé d'autre et j'étais persuadée qu'il y avait quelque chose de spécial dans cette lance.
    Le prix à quatre chiffres me fit mal au porte-monnaie. Mais j'avais au moins quelque chose qui ressemblait à une arme pour me défendre.
    A prix où je venais d'acheter la lance, je trouvais qu'il fut un minimum que le vendeur me fournisse une housse pour la transporter. Il le fit un peu à contre-coeur, mais je le menaçais de revoir mon achat pour une housse à vingt euros : après tout, j'avais sept jours pour changer d'avis. L'argument fit mouche, et je n'eus pas à débourser plus d'argent pour acquérir la lance.
    Même s'il ne l'exprima pas clairement, Alphonse désapprouvait un tel achat.
    Je n'aurais su dire à ce moment là ce qui m'avait pris de faire une telle folie. Mais je sentais que je devais le faire. En rentrant, nous discutâmes de choses et d'autres. J'en appris plus sur lui. Il était né en Algérie, près d'Oran, dans une famille de pieds noirs et était rentré en France lorsque la guerre civile a éclaté. Le vieil homme avait rencontré sa femme en Auvergne, lorsqu'il avait dû faire son service militaire. Elle l'avait suivi jusqu'en ile-de-France où elle avait était restée femme au foyer. Je sais que cela peut choquer la jeune génération, mais à l'époque, ce n'était pas quelque chose d'exceptionnel. Peut après, il avait obtenu un poste de gardien de cimetière, et le logement de fonction qui allait avec. Sa malédiction commença quand une âme brisée affronta un démon dans l'un des jardins. Son couple vola en éclats en même temps que son âme. Profondément croyante, elle préféra le quitter plutôt que de risquer elle aussi de se voir imposer les Royaumes infernaux comme destination finale. Il n'avait pas cherché à la retenir. Prétextant qu'une seule personne dans une situation délicate suffisait. Ils divorcèrent, pour qu'elle puisse retrouver un compagnon.
    Je fus réellement impressionnée et émue par ce que cet homme avait fait par amour. Se sachant damné, et ne voulant pas risquer d'emmener avec lui celle qui partageait sa vie, il avait fait le choix de la quitter.
    Notre discussion fini devant un thé une fois de retour à la maison de garde du cimetière. Les uns après les autres, les différents habitants rentrèrent de leurs journées de travail respectives. Ce fut alors que je constatas quelque chose d'étrange : tous allèrent se changer pour mettre les habits dans lesquels j'avais l'habitude de les voir. Seul le vieil homme alla mettre une veste en velours comme le pantalon, une chemise, un nœud papillon vert et une casquette un peu ancienne.
« - Va te changer, me dit Jocelin, dans sa tenue noire, Remet ce que tu portais quand tu t'es faite agressée. Tu verras, ce sera plus simple.
    - Pour quoi ?
    - On va à l'Usine. Pour s'entraîner, tu te rappelles ? »
    Je couru à l'étage me changer. L'Usine m'était totalement sorti de l'esprit. Je me changeais rapidement, mais je me figeais en voyant la lance, toujours dans son étui d'épais tissu.
    Je me convainquis précipitamment que je verrais ce qu'elle faisait plus tard et sorti de ma chambre rapidement. En bas, tous étaient prêts. Je vis que les lunettes de Paul portaient un halo rouge comme le tube de papier qu'Asami avait entre les mains.
    Je me doutait que ces objets pouvaient m'être utile, mais je n'avais absolument aucune idée des effets qu'ils pouvaient produire.
« - Mademoiselle ?
   - Appelez-moi Lena voulez-vous ? Dis-je en souriant à Alphonse.
    - D'accord, a condition que vous m'appeliez Alphonse.
    - C'est entendu.
   - Et bien Lena. Ceci est à vous. » Déclara-t-il en me tendant mon taser, portant toujours ce halo bleuté.