Après
avoir fait une rapide toilette dans la salle de bain, sur le palier,
je suis allée me coucher. Sous la couette, en chemise de nuit, je me
remis à penser à tout ce qui s’était passé. En moins de deux
jours, J’avais quitté ma petite vie tranquille, et j’étais
devenu un plat recherché. J’habitais avec des inconnus, ils
n’étaient pas méchants, mais je ne les connaissais pas. Dans les
ténèbres, je m’interrogeais aux raisons qui avaient fait que le
destin s’acharnait sur moi ; et surtout, aux différents
moyens que j’avais d’en réchapper. Autour de moi, tout était
calme, les stores fermés, la lumière de l’astre lunaire arrivait
tout de même à passer entre les volets, et éclairait ma nouvelle
demeure avec des nuances de gris.
Je
me relevais d’un coup sec. Une idée en tête.
Si
les démons existaient, pourquoi pas les anges ?
Je
me rallongeais en m’interrogeant aussi sur la religion qui pouvait
me guider dans ce domaine que j’avais négligé tout au long de ma
vie. Si c’était des démons, ils devaient bien appartenir à une
religion, et les anges ou le dieu de cette dite religion pourrait
bien m’aider. Pour peu que j’en comprenne les préceptes… Dans
mes réflexions, je m’interrogeais aussi sur les raisons pour
laquelle personne n’y avait pensé plus tôt. Cela ne pouvait pas
être un simple oubli, il y avait forcément une raison à cela, mais
laquelle ? Le plafond ne fournissait aucune réponse sur le
sujet. Je changeais de position, me tournant sur le côté gauche. Je
choisi finalement d’interroger mes hôtes le lendemain matin. Les
informations rangées dans un coin de mon esprit, je me mis à
chercher les bras de Morphée en me disant qu’un peu de chaleur
humaine ne me ferait pas de mal, en attendant l’Enfer.
Je
dormi d’un sommeil sans rêves. Réparateur, et profond, c’était
peut-être dû au fait que mon déficit de repos avait été très
prononcé ces derniers jours. Toujours est-il que je me suis réveillée
le lendemain matin sans aucune trace de fatigue.
La
lumière du soleil filtrais entre les volets, comme celle de sa
cousine la lune quelques heures auparavant. Un peu de poussière en
suspension brillait comme autant de microscopiques créatures en
suspension dans l’air. Je me levais et descendis les escaliers en
chaussons et en chemise de nuit. J’arrivais rapidement au
rez-de-chaussée, la maison était étrangement silencieuse. Durant
un court instant, je me suis inquiétée. Mais, dans la cuisine,
buvant son café devant un journal étalé devant lui, Alphonse
releva la tête, et me sourit.
« -
Alors ? Me demanda le vieil homme tandis que je m’approchais
de lui. Bien dormi ?
- J’ai bien dormi. Et vous ?
- Il y a bien longtemps que je ne dors plus. Qu’est-ce que vous
voulez prendre pour le petit déjeuner ?
- Un café noir. Tout simple.
- Vous devriez manger un morceau. Il est dit que le petit déjeuner
est l’un des repas les plus importants de la journée.
- Où sont les autres ? Demandais-je naïvement.
- Ils travaillent. Répondit le vieil homme en me servant une tasse
de café. Être une âme brisée donne des capacités spéciales et
des ennuis particuliers, mais ça ne fait pas chauffer la marmite. »
Je
pris la tasse de café tandis que mon esprit démarrait. Un paquet de
gâteaux au chocolat se posa en face de moi.
« -
Mangez, vous verrez, ils sont bons.
- Dites, est-ce que les anges existent ?
- Ah. Je l’attendais celle-là. Répondit Alphonse en
s’installant en face de moi à la table de la cuisine. Ils existent
probablement, pour être franc, je n’en ai jamais vu un seul.
Peut-être se désintéressent-ils de notre situation ou de ce qui se
passe sur terre. Je n’en sais rien.
- Et les religions ? Il y a-t-il une religion vers laquelle
nous pouvons nous tourner ?
- Bonne question… Au moyen-âge, les gens comme nous étaient
considérés comme des sorciers ayant pactisé avec le diable. Vous
devinerez aisément la suite. En fait, tout cela est soumis à
l’interprétation de l’Homme. Selon qu’il soit agressif ou
tolérant, il trouvera toujours dans la religion ce qu’il cherche.
Quelle que soit la religion d’ailleurs.
- Rien à tirer de ce côté-là alors.
- Non, depuis la nuit des temps, les démons évoluent discrètement
autour de nous. Suivant les religions, ils portent des noms
différents, mais ils ont toujours un contact avec l’une ou l’autre
d’entre-elles.
- Donc, si je fais la synthèse, toutes les religions sont fausses.
- Ou elles sont toutes vraies. Cela dépend de l’interprétation
que l’on en fait. Mais je suis une âme brisée, pas théologien.
Je leurs laisse ce sujet que beaucoup d’entre nous ont cherchés à
solutionner… Sans succès.
- Dommage. J’ai cru que l’on aurait pu avoir de l’aide.
Dis-je avant de porter la tasse à mes lèvres.
- Ce n'est pas une bonne idée : en ce qui nous concerne,
sachez que certains n’ont pas quittés le moyen-âge question
mentalité. »
Je
faillis m’étrangler en entendant ces mots. En gros, non contente
d’avoir tout un tas de démons cherchant à me faire descendre dans
leur assiette, il y avait également une bande d’illuminé prêts à
m’y pousser. Ma situation, déjà pas enthousiasmante, venait de
prendre un nouveau danger.
« -
Donc, nous sommes seuls. Résumais-je.
- Pour solutionner notre situation. Oui. Mais, au-delà de ça, il
y a tout un tas d’autres… protagonistes qui interviennent dans
l’affaire. Mais il est peut-être un peu tôt pour en parler. Nous
avons des choses à faire aujourd’hui. Jocelin m’a dit ce matin
que vous possédiez un taser. Pourrais-je le voir ? »
J’hochais
la tête tout en m’interrogeant sur les raisons de son hésitation.
Le café fini, je fis ma toilette avant de m’habiller et je sorti
de mon sac l’engin d’auto-défense dans ma chambre. Sous la
surprise, il m’échappa des mains et tomba au sol comme si je
m’étais brulée.
Un
petit halo bleu, très clair entourait l’objet posé sur le sol.
Je
me penchais alors sur ce petit appareil électrique posé sur la
moquette. Le halo était toujours là, transparent, de quelques
centimètres d’épaisseur. A l’aide d’un stylo, je me mis à
toucher l’objet comme pour le faire réagir. Mais il ne se passa
rien. Je ne savais pas comment réagir face à cette situation.
Finalement, je le pris à l’aide d’une serviette, en faisant bien
attention de ne pas le toucher des mains. Je descendis alors quatre à
quatre les escaliers pour montrer au vieil homme l’étrange objet.
Il
le prit à main nues, et le fit tourner entre ses mains, le
soupesant, et l’analysant dans ses moindres recoins. Moi, je le
regardais faire, tentant de comprendre ce qui se passait. Ce n’était
qu’un taser, noir, avec une garde sur la poignée pour protéger la
gâchette d’une erreur de manipulation.
« -
Voilà qui est bien surprenant… tu l’avais dans les mains quand
le démon t’as frappé ?
- Oui. Pourquoi ?
- De quelle couleur le vois-tu ?
- Euh… bleu… bleu ciel. Pourquoi ?
- Il a été altéré, je le vois en jaune or. C’est plutôt rare
avec les objets modernes. Normalement, tu devrais pouvoir t’en
servir. Allons dehors. »
Je
le suivi dans le petit jardin, coté cimetière. Dehors, le soleil
brillait. Je le vis alors secouer l’arme d’auto-défense, lui
donner des petits coups avant de me regarder.
« -
Comment est-ce que cela marche ? Je n’avais pas ce genre de
choses à mon époque.
- Appuyez sur la gâchette, puis, vous touchez votre agresseur avec
les deux parties métalliques à l'extrêmité.
- D’accord, attention à vous. »
Il
me tourna le dos et j’entendis un bruit des plus étranges. Comme
si une personne venait de lâcher une énorme flatulence. Je le vis
avoir un mouvement de recul ou de surprise, avant de rire à gorge
déployée. Il se retourna alors vers moi, un énorme bouquet de
fleurs de toutes les couleurs sortait du taser. Il était fier
d’avoir un tel bouquet entre les mains. Son doigt lâcha la
gâchette, et comme coupées par une paire de ciseaux, les fleurs
tombèrent au sol.
« -
Eh bien, j’ai beau le voir en jaune, il m’est totalement inutile.
Sauf peut-être dans le jeu de la séduction… mais j’ai passé
l’âge… A vous. Me dit-il en me tendant le taser.
- Attendez, dis-je, je ne comprends pas ce qui s’est passé.
- Eh bien, cet objet a désormais la capacité d’altérer votre
pouvoir. Ses effets sont différents suivant les personnes. La
puissance s’un objet est identifiable par la personne qui le voit
en fonction de la couleur dont il est recouvert. Cela fait toutes les
couleurs de l’arc en ciel, du rouge, le moins puissant, au violet,
extrêmement dangereux. Bien entendu, le degré de rareté est
équivalent, mais l’utilité laisse parfois à désirer... On a
parfois des surprises. Allez, un peu de courage ! »
Le
vieil homme me plaça le taser entre les mains, et me regarda aller
au milieu du jardin. J’appuyais sur la détente, en m’interrogeant
sur ce qui allait bien pouvoir se passer. J’eus juste le temps de
voir un éclair blanc et bleu.
Je
repris mes esprits à nouveau allongée dans le canapé, avec une
brûlure au mollet droit. Alphonse passait un désinfectant sur la
petite plaie.
« -
Que s’est-il passé ? Articulais-je avec difficulté.
- Rien, ce sont juste les risques du métier : ne pas jouer
avec l’électricité lorsqu’il y a de la rosée dans le jardin.
Rappelez-vous en pour la suite, cela évitera les mauvaises
manipulations. »
Il
me mit un pansement, puis il m’imposa de me reposer jusqu’en
début d’après-midi. Je me levais bien avant, et trouvais le taser
posé sur la table du salon. Je n’avais aucune idée de ce qui
s’était passé, mais, c’était très probablement lié à
l’électricité.
Après
manger, nous sortîmes ensemble et allâmes ainsi de brocanteurs en
antiquaires. Il m'avoua être à la recherche de matériel pour moi.
Si je voyais quoi que ce soit qui soit pourvu d'un halo, je devais le
prévenir. Mais, en dépit de nos efforts les plus francs, cela fut
vain. Du moins, jusqu'à ce que je la vis dans la vitrine du dernier
des magasins.
Une
lance très étrange, longue de deux mètres, avec, au bout, deux
lames fines et parallèles. Un peu comme un élégant diapason affuté
planté en haut de la longue barre de bois. Trois plumes ornaient la
jointure finement ciselée et les emplacements des mains. Faite d'un
bois brut, c'était à la fois une œuvre d'art et un objet qui
semblait fonctionnel. Le halo qui l'entourait était à peine visible
je n'arrivais voir qu'une infime variation de lumière. Elle était
chère, beaucoup trop chère pour ce qu'elle était. Alphonse, en se
basant sur les descriptions de ce que je voyais, s'en désintéressa.
Mais, je n'avais rien trouvé d'autre et j'étais persuadée qu'il y
avait quelque chose de spécial dans cette lance.
Le
prix à quatre chiffres me fit mal au porte-monnaie. Mais j'avais au
moins quelque chose qui ressemblait à une arme pour me défendre.
A
prix où je venais d'acheter la lance, je trouvais qu'il fut un
minimum que le vendeur me fournisse une housse pour la transporter.
Il le fit un peu à contre-coeur, mais je le menaçais de revoir mon
achat pour une housse à vingt euros : après tout, j'avais sept
jours pour changer d'avis. L'argument fit mouche, et je n'eus pas à
débourser plus d'argent pour acquérir la lance.
Même
s'il ne l'exprima pas clairement, Alphonse désapprouvait un tel
achat.
Je
n'aurais su dire à ce moment là ce qui m'avait pris de faire une
telle folie. Mais je sentais que je devais le faire. En
rentrant, nous discutâmes de choses et d'autres. J'en appris plus
sur lui. Il était né en Algérie, près d'Oran, dans une famille de
pieds noirs et était rentré en France lorsque la guerre civile a
éclaté. Le vieil homme avait rencontré sa femme en Auvergne,
lorsqu'il avait dû faire son service militaire. Elle l'avait suivi
jusqu'en ile-de-France où elle avait était restée femme au foyer.
Je sais que cela peut choquer la jeune génération, mais à
l'époque, ce n'était pas quelque chose d'exceptionnel. Peut après,
il avait obtenu un poste de gardien de cimetière, et le logement de
fonction qui allait avec. Sa malédiction commença quand une âme
brisée affronta un démon dans l'un des jardins. Son couple vola en
éclats en même temps que son âme. Profondément croyante, elle
préféra le quitter plutôt que de risquer elle aussi de se voir
imposer les Royaumes infernaux comme destination finale. Il n'avait
pas cherché à la retenir. Prétextant qu'une seule personne dans
une situation délicate suffisait. Ils divorcèrent, pour qu'elle
puisse retrouver un compagnon.
Je
fus réellement impressionnée et émue par ce que cet homme avait
fait par amour. Se sachant damné, et ne voulant pas risquer
d'emmener avec lui celle qui partageait sa vie, il avait fait le
choix de la quitter.
Notre
discussion fini devant un thé une fois de retour à la maison de
garde du cimetière. Les uns après les autres, les différents
habitants rentrèrent de leurs journées de travail respectives. Ce
fut alors que je constatas quelque chose d'étrange : tous
allèrent se changer pour mettre les habits dans lesquels j'avais
l'habitude de les voir. Seul le vieil homme alla mettre une veste en
velours comme le pantalon, une chemise, un nœud papillon vert et une
casquette un peu ancienne.
« -
Va te changer, me dit Jocelin, dans sa tenue noire, Remet ce que tu
portais quand tu t'es faite agressée. Tu verras, ce sera plus
simple.
- Pour quoi ?
- On va à l'Usine. Pour s'entraîner, tu te rappelles ? »
Je
couru à l'étage me changer. L'Usine m'était totalement sorti de
l'esprit. Je me changeais rapidement, mais je me figeais en voyant la
lance, toujours dans son étui d'épais tissu.
Je
me convainquis précipitamment que je verrais ce qu'elle faisait plus
tard et sorti de ma chambre rapidement. En bas, tous étaient prêts.
Je vis que les lunettes de Paul portaient un halo rouge comme le tube
de papier qu'Asami avait entre les mains.
Je
me doutait que ces objets pouvaient m'être utile, mais je n'avais
absolument aucune idée des effets qu'ils pouvaient produire.
« -
Mademoiselle ?
- Appelez-moi Lena voulez-vous ? Dis-je en souriant à
Alphonse.
- D'accord, a condition que vous m'appeliez Alphonse.
- C'est entendu.
- Et bien Lena. Ceci est à vous. » Déclara-t-il en me
tendant mon taser, portant toujours ce halo bleuté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire